Annie Jourdan est historienne certes, mais elle ne ressemble à aucun autre. D’abord par son parcours universitaire qui l’a conduite de Paris à l’université d’Amsterdam où elle a longtemps enseigné l’histoire de France, mais aussi et très logiquement parce que s’étant peu à peu spécialisée sur la Révolution, le Consulat et l’Empire, elle s’est très vite démarquée des autres. A la différence de nombre d’historiens de la révolution, cette dernière n’a jamais été pour elle une question franco-française. Elle n’est pas plus à ses yeux un prétexte à poursuivre une démonstration partisane induite des querelles et des débats idéologiques alimentés depuis trop longtemps par les évènements tragiques comme par les courants de pensées antagonistes du XXe siècle.
En cela, et c’est un beau début, Annie Jourdan est une historienne indépendante. Indépendante et acharnée. Car ce qui la distingue aussi de ses pairs en révolution qui ont souvent tendance à se copier les uns les autres au sein d’une même chapelle, c’est qu’elle a la passion des sources et qu’elle y revient sans cesse. C’est peut-être là la première des qualités de sa Nouvelle histoire de la révolution. Les références à l’historiographie sont bien sûr présentes dans son livre, mais ce ne sont pas elles qui dominent, ce sont les archives : lettres, journaux, mémoires, discours parlementaires, lus et relus sans cesse, étudiés, médités, et surtout appréhendés de tous les points de vue : celui de la révolution évidemment, mais aussi celui de ses adversaires. On ne peut rien comprendre d’un événement si on ne l’observe pas sous toutes ses faces, encore moins si on ne l’aborde que d’un seul côté.
Cette intelligence des sources, cette impartialité expliquent largement le parti pris par Annie Jourdan de considérer essentiellement la dynamique révolutionnaire depuis ses débuts en 1789 jusqu’à l’avènement de Bonaparte en 1799 et au delà, comme une dynamique de guerre civile. Dans cette perspective la terreur qui s’est exercée avec sa plus grande force et violence à l’époque du gouvernement révolutionnaire de 1793-94, n’est pas pour elle l’expression d’une idéologie exclusive. Elle n’annonce pas plus les totalitarismes du XXe siècle. Elle est tout simplement inhérente à la situation que connaît la France, confrontée dès 1789 à la guerre civile entre partisans et adversaires de la révolution puis au sein même de cette dernière entre factions adverses (feuillants, girondins, montagnards), et à partir de 1792, à la guerre étrangère.
La terreur ou plutôt les terreurs exercées dans ce contexte (royalistes, populaires, révolutionnaires ou militaires), l’ont été comme autant d’armes politiques ou d’instruments de guerre susceptibles de terrasser l’adversaire par la peur, dans une dynamique quasi inarrêtable de réciprocité de la violence et de vengeances infinies. Cela n’excuse pas pour autant la terreur, mais cela l’explique.
De plus et c’est peut-être la partie la plus passionnante de cette Nouvelle histoire de la Révolution, cette dynamique n’est pas spécifiquement française. Tout le mérite d’Annie Jourdan est de replacer cette guerre civile française dans le long terme des révolutions américaines et européennes : Angleterre, Pays-bas, Suisse, Italie, etc. Mais aussi dans celui des luttes civiles de notre pays, depuis l’ancien régime, jusqu’à l’empire et la restauration de 1815. Ce que personne jusqu’à présent n’avait fait. Ces comparaisons sont salutaires, elles relativisent la violence révolutionnaire spécifique des premières années de la république, et, à contrario, permettent à Annie Jourdan de nous expliquer pourquoi la terreur du gouvernement révolutionnaire de 1793, a été depuis si longtemps mise en avant par les historiens de tous les pays, de préférence aux autres.
Mais, je ne voudrais pas vous donner l’impression que ce livre n’est qu’une méditation théorique. Non, il est beaucoup plus que cela encore . C’est aussi le livre d’un écrivain qui sait conduire un récit clair et élégant à travers l’enchaînement des innombrables évènements révolutionnaires, depuis la convocation des Etats généraux en mai 1789, en passant par la fuite à Varennes, par l’entrée en guerre du pays en avril 1792, par le jugement et l’exécution du roi, par la chute des Girondins, de Danton, de Robespierre, jusqu’aux tentatives de pacification de la république sous le Directoire et jusqu’à la « républicanisation » d’une partie de l’Europe.
Pour tout cela, ce livre passionnant, intelligent et incroyablement novateur, mérite vraiment son titre de « nouvelle » histoire de la révolution. Emmanuel de WARESQUIEL
Nouvelle Histoire de la Révolution
d’Annie Jourdan
Collection «Au fil de l’Histoire» Éditions Flammarion
Février 2018
656 pages 25 €
disponible en numérique 15,99 €