Votre regard se porte au fil de vos romans vers ces femmes oubliées, restées dans l’ombre qui côtoient la Grande Histoire. Pourquoi ce choix ?
Ludovic Miserole : Je crois qu’il s’est imposé à moi. J’ai toujours eu cet intérêt pour les personnages de l’ombre. Même enfant, lorsqu’il m’arrivait de regarder des documentaires ou des films historiques, je me demandais toujours ce qu’était devenue telle servante ou telle mère dont on avait exécuté le fils. Des femmes parfois au plus près de grandes figures historiques, ayant vécu les coulisses d’événements dont on parlerait encore des siècles plus tard et pour lesquels elles n’étaient pas préparées. Car rien ne prédestinait ces femmes de l’ombre à côtoyer de si près la lumière, certaines s’y sont parfois même brûlé les ailes. Je trouve ces destins incroyables. Ils me touchent, car ils sont plus proches de nous. A mon sens, on peut davantage s’identifier à ces anonymes qu’à un souverain. Leur sort aurait pu être celui de nos ancêtres. Ce sont ces petites gens, comme on les appelle parfois, qui ont fait l’Histoire et nous sommes les acteurs de celle d’aujourd’hui sur laquelle se pencheront les historiens du futur. Et puis, disons aussi que j’en avais un peu assez d’avoir cette désagréable impression de lire toujours les mêmes livres sur les mêmes personnages. Je vais peut-être jeter un pavé dans la mare, mais quand on aime l’Histoire, on ne peut se contenter de compiler ce qui a déjà été édité.
Notre connaissance du passé n’avancera que grâce à des gens qui iront respirer la poussière des vieux papiers. C’est une tache longue et parfois ingrate, mais ô combien nécessaire ! C’est en cela que j’ai une profonde admiration pour Gosselin Lenotre, le Pape de la petite Histoire.
On savait peu au sujet de cette femme, héroïne de votre ouvrage « Rosalie Lamorlière » qui va accompagner la reine de France Marie- Antoinette dans ses derniers instants, et vous en faites un récit émouvant …
Ludovic Miserole : Merci beaucoup. Rosalie est une personne qui m’est chère et c’est grâce à elle que tout a commencé. Je l’ai tout d’abord rencontrée dans diverses biographies de Marie-Antoinette. Elle était employée à la Conciergerie sous la révolution. C’est elle qui prépara la cellule de la veuve Capet et qui s’occupa d’elle jusqu’au matin du 16 octobre. Durant plus de deux cents ans, tous les historiens se sont basés sur les deux témoignages de Rosalie faits en 1824 et 1836 pour raconter la fin de vie de la reine.
Comme ce personnage m’avait profondément touché, j’ai voulu en connaître davantage à son sujet. Pensez donc !
En plus elle était une de ces anonymes de l’Histoire que j’affectionne tant. A l’époque, c’était à la fin des années 90, quand je tapais son nom dans un moteur de recherche, je ne trouvais que deux malheureuses pages de résultats. J’ai voulu savoir si un ouvrage lui avait été consacré. Naïvement, je pensais qu’il ne pouvait en être autrement. Un témoin si important des derniers jours de la plus célèbre reine de France ! Eh bien, je n’ai rien trouvé mis à part ces deux témoignages et un chapitre que lui avait justement consacré Lenotre dans son livre La captivité et la mort de Marie- Antoinette. Ca commençait plutôt mal, surtout en lisant les premières lignes: « Nous n’avons point à présenter Rosalie Lamorlière : la pauvre fille n’a pas d’histoire, ou, du moins, toute sa biographie tient dans les quelques pages qu’on va lire. ». J’admire Lenotre, je l’ai déjà dit, mais j’avoue que là, ma déception fut grande. Je ne pouvais me contenter de cela. Je déteste la frustration et je désirais ardemment connaître le destin de Rosalie Lamorlière. J’avais une piste : elle était née à Breteuil, en Picardie. Je me suis donc rendu là-bas et j’ai épluché les registres d’état civil. Puis, ceux des archives de l’assistance publique et des hôpitaux de Paris, de la police… Neuf longues années à arpenter les routes et les archives de France ! J’ai découvert qu’elle avait eu une fille. J’ai retrouvé la tombe de celle-ci au Père-Lachaise. Elle était totalement passée inaperçue durant toutes ces années. Elle porte même au dos, une inscription en hommage à Rosalie, sa mère. Si Lenotre avait eu accès à cette information, il aurait pu rencontrer l’unique descendante directe de Rosalie Lamorlière ! Je n’ose imaginer tout ce qu’elle aurait été en mesure de lui révéler. Certains ont même mis en doute le témoignage de Rosalie, allant même jusqu’à nier sa présence à la Conciergerie sous la révolution. J’ai trouvé des documents qui attestent le contraire. Elle était bien là-bas. Depuis plus de vingt ans, je continue à amasser des documents la concernant. Notre histoire commune est loin d’être terminée.
Le marquis de Sade est resté célèbre. Ses victimes le sont parfois moins …
Ludovic Miserole : Hélas ! Car si nous connaissons tous le marquis de Sade, au moins de nom, rares sont les personnes au fait des affaires criminelles dans lesquelles il fut impliqué. On ne le sait peut-être pas, mais Sade fut même condamné à mort pour l’une d’entre elles. Ses défenseurs aiment à dire qu’il ne faut pas faire d’amalgame, mot à la mode s’il en est, entre ce qu’écrivait Sade et la personne qu’il était réellement, bref, qu’il faut dissocier le romanesque de la réalité. Pourtant, ces affaires criminelles ont eu lieu pour la plupart bien avant que Sade n’entreprenne l’écriture de Justine ou des 120 journées de Sodome et nous retrouvons toutefois dans ses livres certains sévices que l’auteur avait fait subir à des jeunes femmes ou à des enfants des années auparavant. C’est en écoutant une émission de Franck Ferrand, à l’époque sur Europe 1, consacrée à Sade que j’ai eu connaissance de l’affaire Rose Keller. Lui et son invité en ont parlé une vingtaine de secondes seulement, mais suffisamment pour susciter mon intérêt. Qui était cette Rose Keller ? Que s’était-il réellement passé ? Qu’était devenue cette pauvre fille ? Je terminais alors l’écriture de Zamor, le nègre républicain. J’avais un autre projet en tête pour la suite, mais la curiosité m’a poussé très vite à me rendre aux archives.
J’ai repris toute la procédure criminelle en mettant même la main sur des témoignages totalement inédits depuis 250 ans. Puis j’ai découvert le contexte familial du marquis et d’autres affaires…
C’est ainsi qu’est né le projet d’une trilogie dont le dernier tome devrait sortir en 2020.
Ce qui m’a surtout poussé à entreprendre cette tâche immense est que, pour une fois, il m’était permis de mettre en lumière ces femmes ayant croisé la route du marquis de Sade et qui toutes, à leur mesure, victime, épouse ou belle- mère, ont marqué de leur empreinte cette vie incroyable et toutefois oubliée d’un homme dont tout le monde pourtant connaît le nom.
Un autre personnage féminin de l’histoire sera-t-il au cœur de votre prochain ouvrage ?
Ludovic Miserole : Dans une certaine mesure, oui… Je ne peux en dire davantage pour le moment, mais je quitte temporairement le dix-huitième siècle pour une période plus contemporaine. Ce qui est néanmoins certain est que je continuerai à travailler sur ces oublié(e)s de l’Histoire avec la conviction que chaque vie est importante.