Article publié dans Histoire Magazine N°11
Ecrire une biographie de Saint Pierre est un redoutable défi pour l’historien. En effet, en dehors des quatre Evangiles, des évangiles apocryphes (non consacrés par l’Eglise), des récits des historiens de l’antiquité comme Flavius Josèphe ou Tacite, la documentation ne brille pas par son abondance … Jean-Christophe Dickès spécialiste du Vatican et de la religion chrétienne, relève un défi complexe : celui qui consiste à distinguer le champ des croyances et celui du récit factuel, grâce à la confrontation des sources. L’entreprise est un succès et il en ressort un livre passionnant de bout en bout.
En ce début du premier millénaire, la Judée est intégrée à l’empire romain et la société juive divisée entre plusieurs groupes, dont les Pharisiens, attachés à la pureté rituelle, les Sadducéens, conservateurs, en charge du Temple de Jérusalem. Pierre est de langue araméenne et se rattache, par son frère, à la communauté de Jean le Baptiste, personnalité messianique qui « baptise dans l’eau en vue du repentir » et précurseur de Jésus. Ce dernier choisit ainsi, dans l’entourage de Jean le Baptiste, un modeste pêcheur sur le lac de Tibériade pour en faire désormais son bras droit et son successeur. « Ayant fixé les yeux sur lui, Jésus dit : « Tu es Simon, le fils de Jean. Toi tu seras appelé Céphas » ce qui s’interprète : Pierre » (St Jean).
Au fil du récit de sa vie auprès du Jésus, Pierre mêle les preuves d’allégeance aux moments de découragement et aux défaillances. Le Christ s’est ainsi donné pour fondateur de son église un personnage emblématique de la nature humaine, un « brave homme » davantage qu’un héros. L’épisode est bien connu. Avant son arrestation par les Romains à la demande des grands prêtres, Pierre a juré au Christ de lui être fidèle. Et pourtant, interrogé par les persécuteurs de Jésus, il dément le connaître… « Alors que Jésus sort de la cour, les mains liées, il se retourne vers Pierre. Son regard fixe alors celui de son disciple et celui-ci se remémore les paroles de Jésus [avant le chant du coq, tu m’auras renié trois fois] et l’annonce de son reniement, souvenir qui le rend cruellement conscient de sa faute […] Ce regard silencieux n’est évidemment pas un regard de reproche, mais de miséricorde et de pardon. »
Cette biographie comporte des passages passionnants sur les débats entre disciples du Christ, après la disparition de ce dernier – ou son Ascension pour les Croyants – sur la question de l’orientation à donner à l’évangélisation. Certains d’entre eux dont Jacques (frère ou plutôt, cousin de Jésus), prônent l’observation des rituels de la religion juive. D’autres, comme Paul (Säul), romain converti après avoir pris part aux persécutions des chrétiens, veulent s’en affranchir afin de mieux porter un message universel. Pierre est dans une position intermédiaire, proche de Paul par les idées, mais diplomate, désireux de ménager la frange plus « orthodoxe ». Des échanges vigoureux se déroulent lors du concile de Jérusalem (an 50) et à Antioche, ville-carrefour de l’empire, propice à une vision cosmopolite, avant que Pierre ne penche en faveur de la ligne universelle.
Suit le récit de leur dialogue et de leur commun périple à Rome, l’œuvre d’évangélisation dans la capitale de l’Empire ou le christianisme commençait à se répandre avant même leur arrivée. La communauté chrétienne est considérée par les autorités romaines comme une secte du judaïsme particulièrement dangereuse pour l’ordre établi. Les chrétiens sont accusés par Néron de l’incendie de Rome en 64 et atrocement massacrés. Le mystère n’est pas entièrement levé sur le martyre de Pierre dans le cirque Vaticanus, peut-être victime d’une dénonciation… Une riche biographie où l’on apprend beaucoup sur une période obscure tout en se passionnant pour le récit de la vie d’un homme considéré comme le premier pape et le fondateur d’une religion qui deux mille ans plus tard, rassemble environ un tiers de l’humanité.
SAINT PIERRE. LE MYSTÈRE ET L’ÉVIDENCE
Christophe Dickès
Perrin 2021 – 480 p. 24 €
