<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La saga des Bonaparte…Entretien avec Pierre BRANDA
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Photo : Napoléon en empereur. Peinture de François Gérard - Château de Fontainebleau.
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La saga des Bonaparte…Entretien avec Pierre BRANDA

par | Entretiens, N°2 Histoire Magazine, Napoléon, Second Empire

Article publié dans Histoire Magazine N°2

Depuis sa sortie en janvier dernier, l’ouvrage de Pierre Branda «La saga des Bonaparte» connaît le succès autant en France qu’à l’étranger. Le livre vient d’être traduit en espagnol pour l’Amérique latine et en chinois, car l’Empire du milieu est lui aussi fasciné par le français le plus célèbre au monde, Napoléon. En attendant de vous laisser vous aussi porter par le récit mené de main de maître par Pierre Branda à propos de cette étonnante famille, si ce n’est déjà fait, HISTOIRE MAGAZINE a rencontré le talentueux historien. Entretien…

Pierre Branda, dans cet ouvrage très bien documenté, vous dressez les portraits de dix-sept Bonaparte, dont le plus illustre, Napoléon Ier « écrase » tous les autres par sa personnalité hors norme ?

Pierre Branda : Pour les Bonaparte, Napoléon est à la fois une chance et une malédiction. Une chance parce sans lui, ils n’auraient pas accédé aux hautes sphères, peut être quelques-uns d’entre eux auraient fait carrière dans la politique, comme ministres, mais la famille dans son ensemble aurait été bien plus anonyme. Il est en même temps une malédiction parce qu’on les ramène toujours à lui.

Dès l’enfance, ils sont élevés à côté d’un buste de Napoléon, et sont toujours comparés à lui. Personnage hors norme, l’un des plus connus dans le monde, avec une trajectoire qui ne se reproduit qu’une fois par millénaire, il est difficile pour eux de s’élever à sa hauteur.

Certains ont été écrasés, comme l’Aiglon, ou Plon-Plon, en revanche d’autres peuvent s’en accommoder, s’en libérer, mais Napoléon reste toujours la référence, y compris pour le prince Napoléon actuel, que l’on voudrait comparer au vainqueur d’Arcole. C’est donc pour les Bonaparte une situation terriblement déstabilisante. Cette présence a pu les galvaniser parfois mais la comparaison est toujours cruelle. Même Napoléon III se sentait paralysé par la comparaison, alors qu’il n’avait pas démérité, loin de là, et a été bien plus loin que Napoléon Ier dans de nombreux domaines. Pour autant, sur le plan légendaire, Napoléon 1er le surpasse. Mon but n’était pas de les comparer à Napoléon Ier, mais de montrer comment ils ont pu vivre sous cette ombre. Pour ses frères et sœurs, qui l’avaient connu, il leur était plus facile de se singulariser, voire de se désolidariser de lui. Mais pour les générations suivantes, cela ne pouvait se faire que de manière indirecte.

Peu de familles auront ainsi marqué le XIXe siècle en France comme en Europe. En quoi se différencient les Bonaparte des autres lignées ?

Pierre Branda : Ils se différencient par le fait que leur lignée est « aventureuse ». Ils sont susceptibles à tout moment d’être remis en question, tous sont sur des « sièges éjectables », ne sont pas assurés de leur situation, et il leur faut donc toujours être capables de revenir aux fondamentaux, être capables, de se muer en souverains, en guerriers, en aventuriers, être un peu caméléon. C’est sans doute moins vrai aujourd’hui, mais ils furent longtemps considérés comme usurpateurs, à devoir se légitimer sans arrêt. Et sans cette légitimité, rien ne leur est jamais acquis ni établi. Il en résulte des destins singuliers, pouvant s’élever très haut, et tomber très bas. Mais ils le savent, le supportent et s’en accommodent, sachant d’où ils viennent, pour la plupart. Mathilde disait que « La Révolution française, sans elle, je vendrais des oranges dans les rues d’Ajaccio ». Cependant, ils sont capables de ressembler aux autres lignées. En majesté, leurs habits leur vont bien. Mais cela reste aléatoire.

Même s’ils ne brillent pas autant que Napoléon, les Bonaparte comptent des personnalités remarquables, et finalement assez éloignées de ce que l’on pourrait attendre d’aristocrates…

Pierre Branda : Oui, en effet. Car, comme ils ne sont pas élevés dans de très anciennes traditions, leur noblesse remonte à Brumaire, comme disait Napoléon. C’était à l’origine une famille n’ayant d’intérêt que pour Ajaccio, mais à partir de Napoléon, ils abandonnent cette tradition. Ils ne sont pas élevés tout à fait comme les autres aristocrates. Ils ont en eux l’aventure, la Révolution coule dans leurs veines. Ils ont un sens politique qui ne ressemble pas à celui des autres dynasties. De ce fait, ils brillent d’être d’une nouvelle race, d’une nouvelle lignée, qui les fait se différencier totalement des autres dynasties plus anciennes, bien qu’ils veuillent s’en rapprocher et en faire partie.

Vous ouvrez votre ouvrage sur le grand « absent » de l’épopée napoléonienne et qui est pourtant celui sans qui rien ne serait advenu. Charles Bonaparte fait montre d’une très grande ambition, qui va profiter à sa lignée …

Pierre Branda : Oui. Et en fait, il aurait pu être le dernier des Bonaparte, mais sa grande ambition le conduit jusqu’à Versailles en 1779, puis à être député de la Corse alors même qu’il avait soutenu Paoli.

C’est le premier Bonaparte qui sort d’Ajaccio, et montre un intérêt au-delà de la Corse. Il entrouvre pour les Bonaparte une porte qui ne se refermera pas.

Et donc, sans lui, c’eut été très difficile. Il a été dévalorisé par l’histoire, on lui reprochait d’être dépensier. Pour autant, s’il n’avait pas été capable d’être aussi « Ancien Régime », sa famille n’y serait pas arrivée. Napoléon n’aurait jamais pu être admis dans les écoles du roi. Charles leur met le pied à l’étrier, à Napoléon et à ses autres enfants, mais il ne sera pas là quand le cheval part ! À tous ces petits aiglons, il leur permet de voler de leurs propres ailes, c’était son rôle. Napoléon dira que ce fut finalement une chance qu’il décède, car, détenant l’autorité familiale, une certaine prestance, il est probable que ses fils seraient restés un moment dans son ombre, et sans doute la carrière de Napoléon n’aurait jamais démarré.

Le destin de Napoléon ne peut s’accomplir qu’après la rupture avec Pascal Paoli, son « second père », et sa terre natale la Corse …

Pierre Branda : Ma thèse est que moins il est un Bonaparte, plus il est Napoléon. S’il était resté un Bonaparte « pur jus », son destin se serait limité à sa seule insularité. Il lui fallait abandonner tous ses pères, tous ses protecteurs pour se révéler. Il le fera de manière inattendue en 1796. Jusqu’à son entrée dans Milan en mai 1796, il n’est personne. Comment aurait-on pu deviner ce qu’il allait devenir ? D’ailleurs, personne ne s’est méfié de lui et c’est la raison pour laquelle on lui confia le commandement de l’armée d’Italie. Si le Directoire avait pu se douter de son ambition, il aurait cherché à l’éliminer. On pourrait d’ailleurs faire le parallèle avec Emmanuel Macron, qui a accédé à la présidence de la République, alors qu’on ne s’y attendait pas.

Les historiens n’ont guère épargné l’aîné, Joseph, allant même jusqu’à mettre en doute qu’il ait pu être l’aîné. Vous en dressez un portrait plus « mesuré »  

Pierre Branda : S’il y avait un pilier chez les Bonaparte, c’était lui assurément. Les autres étaient aventureux, fantasques, ou malades, Joseph est resté très constant toute sa vie. Il ne perd pas ses fondamentaux comme un aîné doit le faire. S’il n’en reste qu’un, c’est lui. Napoléon est beaucoup plus aventureux, prend plus de risques. Les autres enfants aussi dans une certaine mesure, mais Joseph doit rester celui qui prudemment ne compromet pas sa position. Il est également plus diplomate. Il va conserver son rôle d’aîné pour la famille, non pas pour la politique, mais pour la solidité du clan.

Le cadet, Lucien, est un frère rebelle qui tient tête à Napoléon. « S’opposer à Napoléon était devenu pour lui comme un réflexe, le meilleur moyen qu’il ait trouvé pour exister, quitte à tout perdre » écrivez-vous. Et c’est la question de son mariage qui va devenir une affaire de principe, tant pour Napoléon que pour Lucien …

Pierre Branda : Il ne cédera pas et Napoléon non plus.

Napoléon ne consentira jamais à ce mariage avec Alexandrine de Bleschamp et Lucien sera même obligé de s’exiler en Italie, puis de tenter la fuite vers l’Amérique.

Mais là, il est capturé par les Anglais et retenu quatre ans à Londres. La brouille entre les deux frères devient alors un schisme. Lucien et sa branche familiale ne pourront jamais prétendre au trône, même s’il fut fait prince. Il ne le sera jamais au sens de l’hérédité. Elle passera par les autres branches de la famille. Lucien est un personnage que je n’épargne pas il est vrai. C’est le plus doué en politique, c’est le tribun entre tous, ce qui donnera d’ailleurs le succès à Brumaire, mais ensuite, contrairement aux autres, et même Jérôme, dans l’exécution d’une responsabilité, il est non seulement mauvais, mais réellement néfaste, faisant primer ses intérêts personnels sur ceux de sa charge, ce que ne feront jamais les autres frères et sœurs. Louis ne cherchera jamais à compromettre la Hollande, ni Jérôme la Westphalie, ou encore Joseph l’Espagne. Mais Lucien, qu’il fut ambassadeur ou ministre, se moquait de sa charge et ne pensait qu’à lui. Il vole même et va ouvertement privilégier ses intérêts sur ceux de la France comme en Espagne. De caractère très colérique, il ne reste jamais longtemps en poste, d’où ce surnom de « l’éphémère » que je lui ai donné. Alors que le pape le croit très attaché à Rome, il rejoint Napoléon aux Cent-Jours en 1815, bien que très fâché avec lui, et ce, à la stupéfaction de tous. Napoléon s’en réjouira, mais le pape lui en tiendra rigueur alors même qu’il venait de le faire prince de Canino en 1814. Lucien est inconstant et orgueilleux. Reste ses amours, et sa nombreuse progéniture, seul domaine de réussite.

Napoléon Ier et Napoléon III vont connaître un destin similaire sur certains points, la fin de règne, et la destinée tragique des aiglons …

Pierre Branda : Oui, en effet. La politique de Napoléon a son retour de l’Île d’Elbe connait une phase libérale. Napoléon III l’introduit aussi en 1869 et s’en suit une défaite magistrale, le désastre pour l’un comme pour l’autre, Waterloo et Sedan. Les aiglons, non seulement ne parviennent pas au trône mais finissent en exil. Un exil douloureux pour l’Aiglon, moins pour le prince impérial. Et alors que l’un est devenu prussien, et l’autre très proche des Anglais, ils meurent tous les deux dans l’uniforme de leur pays d’exil.

Vous évoquez Charlie, l’Américain …

Pierre Branda : Charlie l’incorruptible est un des plus inattendus, des plus singuliers des Bonaparte. C’est lui sans doute qui fut le moins favorisé par son nom. Il s’est fait tout seul, par sa rigueur en tous domaines, ses excellents résultats et son amitié avec Théodore Roosevelt qui va l’amener à fonder la police judiciaire fédérale américaine, qui donnera le F.B.I. Il parviendra également à faire démanteler l’empire « d’Uncle John »,Rockfeller, qui détenait le monopole de l’or noir aux Etats-Unis.

C’est à cela que l’on reconnaissait un vrai Bonaparte, sa détermination à faire appliquer la loi, dans toute sa rigueur, ce qui était le cas de Napoléon, et de beaucoup des Bonaparte.

On reconnait là un vrai Bonaparte capable de coups de force et qui n’a pas peur de tout perdre. Charlie fait totalement partie de l’histoire américaine. Même s’il était fier de ses origines, il aura toujours été très attaché et fidèle aux Etats-Unis. Il sera le dernier Bonaparte à avoir eu une responsabilité au sein d’un gouvernement. Il aura su exister par lui-même, loin de la France, sur un autre continent, sans avoir rien à devoir à la notoriété de Napoléon. Il résume assez bien à lui seul les caractéristiques des Bonaparte, ambitieux, prêts à tout et capables de tout.

Et cette princesse Marie Bonaparte, qui va être sauvée de sa névrose par le plus illustre des psychanalystes …

Pierre Branda : Elle est la dernière des Bonaparte, tous les autres cousins étant des Napoléon. Elle aussi va se construire toute seule, mais dans la douleur. Sa rencontre avec Freud, à quarante ans passés, va bouleverser sa vie. C’est cela qui va la projeter dans l’histoire du XXème siècle, pour avoir sauvé Freud d’une part, avoir largement favorisé la psychanalyse en France et enfin être devenue un personnage absolument romanesque. C’est d’ailleurs le propre des Bonaparte, toutes leurs vies sont romanesques. La princesse Marie connait un parcours torturé qui va faire d’elle le personnage que l’on connait, attachant, aussi bien qu’original. Sans doute une des plus attachantes de ces femmes Bonaparte, et un destin contrarié.

Vous retracez au travers de cette galerie de portraits le destin de cette famille sur trois siècles, et vous consacrez un chapitre à Louis « le Gaulliste », un grand Bonaparte…

Pierre Branda : Oui. Si Charles a fait des Bonaparte des acteurs de l’histoire, Louis fait rentrer l’histoire dans la vie des Bonaparte. Car, en effet s’il avait fait les mauvais choix, durant cette période cruciale de 1939-1945, s’il avait ne serait-ce trempé un doigt dans la Collaboration ou le nazisme, l’opprobre aurait été sur tous les Bonaparte, ascendants et descendants. On aurait reconsidéré toute cette famille sous ce seul jour. Par son choix d’abandonner la politique et d’être un acteur de l’histoire, il les fait entrer dans l’histoire par son comportement et son action exemplaires pendant la Seconde Guerre mondiale. Il le sera également par la suite, en fondant les bases de l’histoire napoléonienne à travers les archives qu’il laisse, les musées qu’il a contribué à organiser. Il a véritablement œuvré pour faire en sorte que les Bonaparte restent dans l’histoire. J’y ai vu un passage de témoin entre Charles Bonaparte et Louis XVI mais aussi entre Louis Bonaparte et Charles de Gaulle.

Et qu’en est-il de la dernière génération ?

Pierre Branda : Beaucoup de choses ont été faites, pas toutes. Charles, le fils de Louis, n’a pas assumé ce rôle de continuateur, ce que son petit-fils, lui, a repris, à l’internationale, bien qu’encore jeune. À lui d’écrire maintenant une nouvelle page, d’être un Bonaparte, d’une manière ou d’une autre. Cette lignée ne dispose pas d’une fortune conséquente, les Bonaparte sont donc tenus de travailler, le plus brillamment possible et de mener tout cela de front.

Il est important que le petit-fils continue à jouer un rôle à l’avenir. Il n’est pas facile d’être un Napoléon aujourd’hui …

Pierre Branda : Non, en effet. Porter un nom connu de la planète tout entière est compliqué, l’audience sur internet de Napoléon se situe entre Jésus et Mahomet. Et donc,

quand on s’appelle Napoléon, soit on vous rit au nez, soit on vous compare. L’ombre du bicorne plane toujours sur les descendants.

Dans mon ouvrage, il ne s’agissait pas de savoir s’ils avaient été à la hauteur de Napoléon, mais davantage de voir les parcours, les chemins qu’ils avaient empruntés pour vivre avec l’ombre du grand homme. Leur défi est d’exister. Les Bonaparte sont quelque chose à la naissance, mais ils doivent devenir quelqu’un. Alors cela se fait par les honneurs, pour certains, par un certain nombre de combats pour d’autres, et beaucoup de détermination. Mais la marche est haute.

Comment perçoit on Napoléon à l’étranger ? Aux Etats-Unis et ailleurs…

Pierre Branda : Vu des Etats-Unis, Napoléon est le personnage européen le plus célèbre. Il est à la fois le conquérant, mais aussi l’homme des réformes, et c’est vrai dans d’autres pays également, mais paradoxalement, c’est en France qu’on en a la plus mauvaise image. Il n’y a pas à l’étranger d’affrontement idéologique autour de sa personne, mais des débats historiques essentiellement. Sa stratégie militaire est étudiée dans les écoles de guerre d’un grand nombre de pays, dans les universités américaines, à West Point, mais plus du tout en France. Il est perçu très positivement à l’étranger, il y a un enthousiasme, de la passion autour de ce personnage. Les Américains connaissent aussi Joseph, Jérôme et Charlie, des Bonaparte font partie de l’histoire américaine. Napoléon est tout aussi apprécié en Russie. Un des gâteaux préférés des russes ne s’appelle-t-il pas le « Napoléon » ? Une sorte de mille-feuilles baptisé ainsi en 1807 que l’on retrouve sur toutes les cartes des restaurants, le signe que les Russes y sont très attachés.

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