<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Entretien avec Damien ACCOULON…René FONCK Le héros oublié
Temps de lecture : 7 minutes
Photo : René Fonck avec ses mécaniciens devant son SPAD VII.
Abonnement Conflits

Entretien avec Damien ACCOULON…René FONCK Le héros oublié

par | 14-18 : la guerre des airs, Entretiens, N°3 Histoire Magazine, Première Guerre mondiale, XXème siècle

Article publié dans Histoire Magazine N°3

L’aviateur René Fonck fut l’As des As français et pourtant son nom semble ne plus rien évoquer aux jeunes générations. Damien Accoulon, jeune historien passionné par l’aviation, a cherché à percer ce mystère. Comment un homme ayant atteint un tel degré de renommée à l’issue de la Grande Guerre put ainsi sombrer, quelques années plus tard, dans un oubli quasi total. Explication …

Comment s’est faite votre « rencontre » avec René Fonck ?

Damien Accoulon :J’ai passé ma jeunesse dans les Hautes-Vosges et voyais souvent sur la route reliant Gérardmer à Saint-Dié un panneau jaune indiquant « pays natal de René Fonck, As des As ». Cela m’intriguait toujours que l’on puisse se réclamer d’un homme a priori peu connu, tout en me demandant ce qu’était un As. En avançant dans mes études en histoire, j’ai creusé un peu la question et je me suis rendu compte du personnage fascinant qu’il était.

Il y avait déjà eu par le passé des biographies de René Fonck, mais vous avez utilisé des archives, des documents rassemblés par des passionnés jamais exploités jusqu’à lors…

Damien Accoulon :En effet, les biographies se sont multipliées depuis 2003 et chacune a apporté son lot de nouveautés. J’ai personnellement bénéficié de nouveaux fonds récupérés par l’association « Mémoire de René Fonck », d’une numérisation toujours plus complète des collections de la Bibliothèque nationale de France, tout en allant sonder plus profondément les Archives nationales, riches d’informations sur la Seconde Guerre mondiale, qui reste un point de tension majeur dans le parcours du pilote.

Comment Fonck est-il venu à l’aviation ?

Damien Accoulon :Comme beaucoup de jeunes hommes à cette époque : fasciné par l’aviation avant la guerre, mécanicien-ajusteur d’origine modeste, il fait partie de la seconde génération de pilotes de guerre. Il est un jeune engagé volontaire célibataire, servant avec ferveur et disposant d’une connaissance technique. Affecté au 1er Groupe d’Aviation à Dijon, il doit cependant passer plusieurs mois dans le 11e régiment du Génie à Épinal et ce n’est que mi-février 1915 qu’il peut rejoindre l’école des frères Caudron au Crotoy. Là, il est formé au pilotage et obtient son brevet le 31 mai 1915. Il sert ensuite pendant presque deux ans dans une escadrille de Corps d’Armée, où il effectue des missions de reconnaissances des positions des lignes ennemies et quelques bombardements. Il ne devient pilote de chasse qu’en 1917, mais sa progression est dès lors fulgurante.

René Fonck fut un « as des as », un héros national durant la période 14-18 avec un palmarès étonnant …

Damien Accoulon :L’« As des As », c’est le pilote qui a obtenu le plus de victoires aériennes homologuées, c’est-à-dire reconnues à l’aide de témoins, dans la guerre. Fonck en compte 75 victoires et en revendique 52 de plus qui n’ont pas été officialisées. À l’échelle de la guerre, seul Manfred von Richthofen, le « baron rouge » comme le surnommaient les Anglo-saxons, dépasse le Français, puisqu’il en était à 80 victoires reconnues à sa mort, le 21 avril 1918.

Dans le contexte de la Grande Guerre, où les modèles héroïques font défaut, les As sont particulièrement mis en valeur et récompensés par l’État-major. Premier d’entre eux dans ce palmarès qui introduit une dimension sportive dans le fait de donner la mort, Fonck est promu lieutenant et officier de la Légion d’honneur, reçoit des dizaines de décorations dont une Croix de guerre à 26 palmes, soit 26 citations à l’ordre de l’Armée, honneur tout à fait exceptionnel.

Il avait mis au point une tactique personnelle pour la chasse …

Damien Accoulon :Il perfectionne des principes progressivement développés dans la guerre aérienne et forge sa propre technique. Pour limiter au maximum les chances d’être atteint par les balles, il convient d’éviter de se trouver dans l’axe de la mitrailleuse adverse, laquelle est le plus souvent située à l’avant de l’avion. Pour prévenir toute riposte, il prend par surprise ses adversaires en se plaçant dans leur dos et/ou dans l’axe du soleil. Plongeant d’une altitude supérieure pour augmenter la vitesse que prend son SPAD, ses victimes n’ont souvent pas le temps de réagir qu’il est déjà trop tard…

Dans cette guerre impersonnelle, il y a nécessité de trouver des héros identifiables, écrivez-vous, et Fonck est de ceux-là. Qu’est-ce qui le différencie à ce titre de Georges Guynemer, outre le fait qu’il ne connait pas la même fin tragique ? 

Damien Accoulon :Georges Guynemer fait partie de la première génération des « As », ceux mis en avant très fortement par les médias à partir de la fin de l’année 1915, mais surtout de la bataille de Verdun. C’est lui qui le premier porte ce titre d’« As des As », que Fonck reprendra par la suite. Quand Guynemer est tué le 11 septembre 1917, c’est un drame national. Les journalistes lui prêtaient des vertus quasi-christiques de jeune homme déterminé aux sentiments pures et à l’ardeur fougueuse, manifestant le panache français. Fonck, par l’accumulation rapide de ses victoires et son style moins volubile, va au contraire incarner l’efficacité froide que marquent les développements de la guerre aérienne en train de se massifier. On le crée publiquement comme une « invincible tueur de Boches ». Alors que la guerre n’en finit pas, c’est cette efficacité, certes moins chargée émotionnellement, qui est recherchée.

Fonck est grisé par les honneurs et par sa forte médiatisation pendant la guerre. C’est lui qui est chargé de porter les couleurs de l’aviation française le 14 juillet 1919. Il est le plus aimé « par défaut » …

Damien Accoulon :De fait, Guynemer, déjà devenu un mythe, reste préféré à Fonck. L’image de dureté et de froideur qu’il a renvoyé pendant la guerre – qui tient aussi à son caractère et à un orgueil forcément stimulé par tant de publicité – n’arrange rien. Second dans les cœurs, il n’en est pas moins le « meilleur des vivants » et tire les bénéfices de sa gloire militaire.

Revenu à la vie civile, il continue à rechercher la célébrité et se lance en politique …

Damien Accoulon :Comme l’As Alfred Heurtaux, il est recruté par Clemenceau pour représenter le centre-gauche républicain à la Chambre des députés. Placé aux côtés d’un tôlier de la politique dans les Vosges, il est élu sans avoir à prononcer le moindre discours alors que les gens se déplacent pour le voir : voilà un vrai produit de la guerre ! Il est par ailleurs actif pour la promotion de l’aviation française, étant élu à la présidence de la Ligue aéronautique de France, et tente dans le même temps de faire fortune en lançant les automobiles Fonck, qui le mènent en réalité à la ruine.

René Fonck connaît une série d’échecs, en politique où il essuie plusieurs revers, mais aussi dans sa tentative de traversée de l’Atlantique…

Damien Accoulon :De fait, René Fonck manque son passage à la paix : restant trop associé à la guerre et disposant de capacités limitées, il ne parvient pas à assumer son statut. Il manque d’un rien la réélection à la députation en 1924 et ne retrouve jamais son siège malgré ses tentatives de 1928 et 1932. Mais son plus grand raté, celui qui se produit sous le feu des projecteurs mondiaux, c’est bien le raid transatlantique avorté en 1926. Après de longs préparatifs et de nombreux retards, la pression médiatique est exceptionnelle et les investisseurs américains s’impatientent, le départ est précipité le 21 septembre 1926. L’avion Sikorsky S-35 de 11 tonnes est beaucoup plus lourd que les avions que Fonck a piloté pendant la guerre et le manque d’entraînement s’est peut-être fait sentir au moment du décollage… Quoi qu’il en soit, un train lâche, l’avion vrille et part en fumée, consumant deux des quatre aviateurs… mais pas Fonck ! Tous les regards étaient cependant braqués sur lui et il reste durablement associé à l’échec : c’est la fin du pilote invulnérable, ainsi renvoyé à sa condition humaine…

René Fonck a gardé des contacts avec le Maréchal Pétain après la Première Guerre. Il fait appel à lui comme conseiller aéronautique…

Damien Accoulon :Dans les années 1930 en effet, Pétain consulte Fonck sur la défense aérienne de Paris. Ils restent en contact et semblent se rapprocher particulièrement au moment de la guerre, quand Fonck prend des fonctions dans l’Inspection de l’Armée de l’Air. Ayant beaucoup évoqué ses relations avec d’anciens pilotes devenus d’importants dirigeants allemands tels que Hermann Goering et Ernst Udet, le colonel Fonck apparaît comme un homme utile alors que Pétain souhaite s’appuyer d’abord sur les militaires…

Quel est son rôle auprès de Pétain pendant l’Occupation ?

Damien Accoulon :Il sert de conseiller officieux, mais surtout d’informateur et de messager entre Pétain et les Allemands qu’il connaît à Paris. Il fait partie de la Cour qui entoure le Maréchal à Vichy, ce dont joue le Chef de l’État français… Si Fonck revendique avoir pris une part active dans des évènements décisifs comme l’organisation des Entrevues de Montoire et de Saint-Florentin, on comprend qu’il est complètement « à côté de la plaque » lorsqu’il en parle. Il n’en reste pas moins qu’il est en contact régulier avec des Allemands du SD-Sipo et que s’il rend quelques services à des résistants, on ne sait pas concrètement de quoi il en retournait…

A la Libération, René Fonck est emprisonné durant quelques mois, puis relaxé, sans procès. Mais son image va rester entachée malgré tout…

Damien Accoulon :L’instruction ne donne rien et son dossier classé sans suite. On l’a quand même retenu en prison pendant trois mois, semble-t-il pour prévenir d’éventuelles représailles à son encontre. Il obtient un certificat de services rendus à la Résistance et plusieurs témoignages concordent pour lui accorder des actions en faveur de résistants. Mais ses rares interventions publiques vont en défense de pétainistes et il a été très largement compromis dans Vichy quand d’autres ont pris le risque de résister…

Il décède relativement jeune, dans un quasi anonymat…

Damien Accoulon :Il a 59 ans quand il décède d’une rupture d’anévrisme le 18 juin 1953. L’actualité internationale chargée et son association durable à Vichy ne vont pas dans le sens de grands hommages nationaux ; ce que n’aide pas la vacance du Ministère de l’Air. Après la Seconde Guerre mondiale, la mort de l’« As des As » importe finalement assez peu, rappelant le caractère mouvant de la mémoire nationale.

René Fonck est un personnage relativement complexe, à multiples facettes. Vous vouliez comprendre comment se forme l’image publique du « héros » René Fonck, et comment cette image a pu évoluer jusqu’à sombrer dans l’oubli, durant presque 50 ans… 

Damien Accoulon :Oui, c’est ma motivation première et l’origine de ce travail : qu’est-ce qui fait un héros ? Pourquoi se souvient-on d’un homme plutôt que d’un autre ? Pourquoi les récents biographes déploraient-ils l’injuste oubli d’un héros de la Grande Guerre ? Que trouve-t-on aux sources de l’oubli ? Tant de questions qui travaillent l’histoire, la manière de la pensée et de l’écrire… Je voulais faire un pas de côté pour mieux observer comment d’une gloire de guerre à son zénith à 24 ans, certains venaient à revendiquer une place plus grande dans le souvenir national. Pour eux, parler d’un oubli était une solution de facilité et un moyen de porter une cause : il s’agit en réalité d’un silence car beaucoup se souvenaient de lui sans vraiment chercher à en savoir davantage. En révélant les parts d’ombres du parcours de Fonck, j’espère aussi mieux mettre en évidence que les représentations impactent les hommes et la manière dont ils conçoivent leurs vies, leurs parcours, avec des réussites mais aussi des échecs. Pour Fonck, les « racines du mal » sont plus profondes qu’on l’a souvent raconté.

BIOGRAPHIE
Damien Accoulon est agrégé d’histoire contemporaine, doctorant à l’Université Paris Nanterre et à la Technische Universität Braunschweig, il prépare actuellement une thèse sur les parcours et les représentations des As de l’aviation européens de 1914 à 1939. Il est l’auteur d’une biographie remarquée de René Fonck, aux éditions Privat.

Mots-clefs :

À propos de l’auteur
La rédaction

La rédaction

La Lettre Conflits

La newsletter d’Histoire Magazine

Voir aussi