Dans le précédent numéro de France Terres d’Histoire, Stéphane Bern, nommé par Emmanuel Macron à la tête d’un groupe de réflexion pour la sauvegarde du patrimoine français, appelait de ses vœux la mobilisation de tous les citoyens en faveur du patrimoine. Alexandra Sobczak n’a pas attendu cet appel, et œuvre depuis quelques années déjà, pour tenter de sauver de la démolition bâtiments et objets, avec une détermination sans faille. Nous l’avons rencontrée …
F.T.H. : Alexandra, vous êtes animée d’une véritable passion pour le patrimoine. D’où vient-elle ?
Alexandra Sobczak : Depuis mon plus jeune âge, je suis fascinée par les choses du passé. Avec mes grands-parents, dès l’âge de 5 ans, je me rendais dans tous les musées et sites historiques des Bouches-du-Rhône. C’est la raison pour laquelle le musée Borelly à Marseille, le musée Arlatan d’Arles, le musée militaire du Château de l’Empéri à Salon-de-Provence ou le site archéologique « Glanum » à Saint-Rémy-de-Provence n’ont pas de secrets pour moi. Je ne comprenais pas toujours ce que je regardais, mais à chaque fois, j’étais émerveillée par le fait que des milliers de personnes avaient, au fil de l’histoire, vu les mêmes choses et marché aux mêmes endroits. Je crois, d’ailleurs, que ce sentiment n’a jamais été aussi fort que lorsque je suis allée à Athènes visiter l’Acropole avec mes parents — je devais avoir 14 ans. Me dire que j’empruntais le même chemin que les illustres personnes de ce monde depuis des siècles était un privilège que seuls les sites historiques pouvaient offrir. Et puis, évidemment, je n’ai jamais caché ma passion pour Angélique Marquise des Anges. Cette saga romantique et romanesque m’a permis de développer un goût pour le mobilier ancien, les costumes et, bien entendu, les châteaux. Cela paraît un peu anecdotique et puéril, mais je n’en ai pas honte ; cela fait partie de mon histoire personnelle.
F.T.H. : Est-ce un événement particulier qui vous a fait prendre conscience de l’urgence à agir pour le patrimoine ?
Alexandra Sobczak : En 2013 je venais d’emménager à Auxerre, lorsque je me suis rendue à l’église Saint-Pierre. Si le patrimoine auxerrois est plutôt bien entretenu, cette église est en très mauvais état, car bien évidemment, une commune ne peut, hélas, faire restaurer tous ses édifices quand ils sont très nombreux. Auxerre est une belle ville chargée d’histoire, donc tout entretenir et tout valoriser est chose compliquée. C’est donc en me rendant dans cet édifice malmené par le temps que j’ai réellement pris conscience des « urgences » du patrimoine. C’est d’ailleurs suite à cette visite que le nom de l’association est devenu une évidence. Pour être juste, il n’y a pas un, mais deux événements qui m’ont conduit à créer Urgences patrimoine. Après ma visite de l’église Saint-Pierre, j’ai rencontré le président du Conseil Départemental de l’Yonne, auquel je désirais présenter un projet personnel, à savoir, l’inventaire et l’état des lieux de tous les édifices religieux du département. Celui-ci m’avait alors répondu que cette « mission » était nécessaire, mais qu’il n’y avait malheureusement aucun argent pour cela, car 60% du budget du Conseil Départemental était destiné au « social » et qu’il n’y avait rien pour le patrimoine, Je pense que c’est réellement le cas dans bon nombre de départements et c’est la raison pour laquelle j’ai pensé qu’il était grand temps de prendre cette cause à bras le corps et que le citoyen devait se substituer aux collectivités pour sauvegarder le patrimoine commun. L’heure n’est plus aux lamentations ni aux constats, mais à l’action ! Il est temps « d’inventer » la sauvegarde du patrimoine de demain.
F.T.H. : Quels étaient vos objectifs en créant une association, Urgences patrimoine dont vous êtes la présidente ?
Alexandra Sobczak : En fait, lorsque j’ai créé l’association en 2014, elle n’avait qu’une destination locale. J’ai essayé, par le biais de cette structure, de trouver des solutions pour la valorisation du patrimoine de ma ville, voire de mon département, mais rien d’autre. Même si certains le pensent, je n’ai pas d’envie de grandeur, je suis juste quelqu’un de passionné qui ne supporte pas de voir laisser en déshérence les témoins de notre passé glorieux. L’objectif principal, localement, était de tenter de trouver des idées et surtout des partenaires privés pour se substituer aux collectivités en mal de dotations. Le projet me paraissait être évident, mais la réalité du « terrain » m’a vite fait comprendre que tout allait être plus long et plus compliqué que prévu, dans un pays où le « on ne peut rien changer » est le refrain si souvent entonné. Ensuite, mon projet initial s’est vu totalement bouleversé par la création d’une page Facebook « Urgences patrimoine » le 1er mai 2014. En quelques jours, je me suis retrouvée poussée par des dizaines de défenseurs du patrimoine, simples citoyens ou grands professionnels et la question du « national » s’est posée. À ce moment-là, je n’ai pas trop réfléchi et j’ai accepté qu’Urgences patrimoine devienne une association nationale. J’ai juste posé la question « pourquoi moi » ? La réponse fut la même à chaque fois : « nous avions besoin d’un moteur ». Je pense que, sans préméditer quoi que ce soit, c’est la façon « populaire » dont je présentais les choses qui a plu. Jusqu’alors, la sauvegarde du patrimoine était une cause considérée plutôt comme élitiste, réservée à des personnes d’un certain âge, plutôt des hommes et d’une certaine catégorie socio-culturelle. Le fait qu’« une femme du peuple » se mêle de la question a, je pense, réellement contribué à rassembler tous ceux pour qui le patrimoine était important, sans plus aucune distinction de classe sociale, d’âge ou de sexe. C’est à mon sens déjà une grande réussite populaire !
F.T.H. : Parlez-nous de votre association Urgences patrimoine …
Alexandra Sobczak : Si, au départ, il a été très difficile d’organiser les choses — car, comme je le disais précédemment, rien n’était prémédité — nous sommes en passe de trouver réellement nos marques. Le problème de naître sur les réseaux sociaux, c’est qu’il faut, à un moment ou un autre, faire tomber la barrière de la virtualité. Nous avons 12.500 « suiveurs » ou « fans » sur Facebook, plus un groupe de 4000 membres, mais il est un peu difficile de faire comprendre aux gens, que « liker » c’est bien, mais adhérer réellement c’est mieux. En termes de crédibilité auprès des pouvoirs publics, malgré toutes nos actions menées, le nombre d’adhérents demeure un critère essentiel. Concernant les délégués, là aussi, au début, les choses ont été un peu chaotiques, car certaines personnes ont confondu engagement bénévole et Pôle Emploi ! Une structure aussi jeune que nous, qui ne demande aucune subvention, ne peut se permettre d’embaucher. Les délégués et les correspondants d’Urgences patrimoine sont aujourd’hui conscients du message qu’il faut faire passer et travaillent au plus près des territoires dès que les « urgences » leur sont signalées. Malheureusement, nous n’avons pas encore de représentants partout, mais cela viendra. En attendant, ils sont une cinquantaine, dont certains très investis dans leur mission et c’est le principal. Il vaut mieux peu de gens qui œuvrent vraiment, que des centaines de personnes engluées dans l’immobilisme. Nos missions sont multiples : donner l’alerte et interpeller l’opinion lorsqu’il y a urgence est devenu un peu notre « marque de fabrique », ce qui est plutôt une bonne chose et surtout, ce qui nous permet depuis octobre dernier, d’être réellement entendu par le Ministère de la Culture. Mais notre mission première est réellement d’anticiper les choses et de sortir la sauvegarde du patrimoine d’un concept poussiéreux, à savoir celui de la seule et unique collecte de fonds. Certes l’argent est le nerf de la guerre, mais il est le « pansement » et pas le vaccin ! Il est grand temps de trouver des solutions pérennes dans les années à venir afin qu’il y ait moins … Lire la suite