Article publié dans Histoire Magazine N°12
En suivant les premières pandémies de choléra du XIXe siècle, Benoît Pouget, maître de conférences en histoire contemporaine à Aix-Marseille Université, propose une réflexion sur la puissance navale française en Méditerranée. Outre les ravages de la maladie et les actions mises en œuvre pour s’y opposer, l’auteur pointe tout ce que la question sanitaire peut porter comme enjeux géopolitiques et géostratégiques.Au-delà des progrès de l’hygiène navale et du rôle de la navigation dans la diffusion de l’épidémie, les vagues cholériques ont-elles été saisies par la France pour devenir une puissance maritime sanitaire et affirmer ses ambitions ultra-marines? Telle est la problématique générale de l’enquête. «Entreponts et pontons», Benoît Pouget suit les dynamiques des «fronts cholériques navals»,ainsi qu’il désigne les lieux où la marine française se trouve confrontée au choléra. Si la propulsion à vapeur permet d’accélérer les circulations, des hommes, des marchandises et des savoirs, elle facilite aussi la translation de l’épidémie métropolitaine vers l’Algérie et vers le Proche-Orient, durant la guerre deCrimée.En se plaçant «au chevet des cholériques»,l’auteur rappelle les soins donnés aux malades par les membres du service de santé de la marine et les sœurs hospitalières, sans occulter les tâtonnements de la médecine navale et les débats alors de mise entre infection et contagion. Décimant les hommes et immobilisant les navires en quarantaine, le choléra est un obstacle pour les missions de la marine et les perturbe profondément en période de guerre.Les délicates évacuations sanitaires et la prise en charge des malades (navires-hôpitaux ou à terre dans les ports) ébauchent le maillage d’un espace sanitaire en cours de formation dans l’espace méditerranéen.Benoit Pouget insiste sur le rôle des consuls dans la diffusion de l’information sanitaire et le soutien logistique apporté aux forces navales atteintes par la contagion.En s’arrêtant sur le cas de l’Algérie, conquise au moment de la deuxième pandémie et affectée ensuite par sa circulation d’une rive à l’autre de la Méditerranée, il décrit la mise en place d’un dispositif de protection qui transpose les principes de réglementation et d’organisation en les adaptant aux conditions locales afin qu’elles ne constituent pas d’entraves aux circulations. Cette unification des principes inspire la proposition française d’harmonisation des régimes européens présentée lors des premières conférences sanitaires internationales (1851 et 1859).Au terme de cette recherche, la France apparaît profondément engagée dans une diplomatie sanitaire navale en Méditerranée où se croisent vulnérabilité des hommes et projections des ambitions nationales. Au-delà du péril majeur qu’elles ont constitué pour la santé publique, les crises cholériques ont été pour la France une formidable occasion pour s’affirmer comme puissance sanitaire de premier plan.
UN CHOC DE CIRCULATIONS.La puissance navale française face au choléra en Méditerranée, 1831-1856.
Benoît Pouget
préface d’Anne Rasmussen,
Presses universitaires de Rennes
2020 353 p. 25 €