Livre : Le dernier carré

27 janvier 2022 | Livres, N°10 Histoire Magazine

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Livre : Le dernier carré

par | Livres, N°10 Histoire Magazine

Le coup de cœur de Maxime Tandonnet

Article publié dans Histoire Magazine N°10

Le dernier carré, ouvrage collectif co-dirigé par Jean Sévilla et Jean-Christophe Buisson chez Perrin (septembre2021), traite d’un sujet inattendu et inédit dans la littérature historique :celui des ultimes résistants qui refusent de se rendre à l’issue d’un combat dont l’issue défavorable (politique ou militaire) ne fait guère de doute. Il se présente donc pour l’essentiel comme un hommage à l’héroïsme désespéré, au sacrifice et au sens de l’honneur. Ce livre aurait ainsi pu tout autant s’intituler l’histoire des hommes qui ne renoncent jamais.

Et derrière nombre de défaites sinon de débâcles se profile la victoire —devant la postérité — de combattants vaincus en apparence et qui ont refusé de baisser les yeux. Une belle leçon en ces temps de conformisme, pour le dernier carré de ceux qui refusent de se plier aux oukases de la pensée unique ou des modes idéologiques.

L’ouvrage débute par le plus célèbre d’entre eux, celui de la Garde qui ne se rend pas :«Waterloo, 18 juin 1815[…] Le destin hésite, puis bascule. Lorsque Zieten et Wellington repassent à l’attaque, il ne reste, autour de Napoléon, que trois bataillons de la Garde, dont l’un commandé par Cambronne, qui luttera jusqu’au bout non sans avoir lancé un mot cru qui nourrira la légende après avoir conclu l’épopée.»

Les vingt-cinq chapitres qui illustrent le comportement de combattants dos au mur et poursuivant leur résistance, soulignent la constance de la nature humaine : tout change, sauf les caractères et les comportements qui demeurent identiques malgré des époques et des conditions extrêmement différentes. Ils brassent plus de 2500 ans de l’histoire de l’humanité, autour d’épisodes célèbres ou d’autres qui méritent d’être découverts.

Parmi les récits, tous aussi passionnants, nous retiendrons par exemple le suicide collectif des zélotes juifs de Massada, en mai 73 ap. J.-C.; le dernier bûcher cathare de Montségur en 1244;la résistance passionnée des jacobites d’Écosse (fidèles à Jacques II Stuart, roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande, catholique et proche de Louis XIV),à la conquête de la Grande-Bretagne et au couronnement de Guillaume d’Orange en 1689; l’ultime combat de Pontiac, Amérindien du Canada, fidèle à l’alliance des Français et des Amérindiens qui, après la cession parla France du Canada à l’Angleterre, poursuit le combat entre 1763 et 1769contre le colonisateur britannique; la Chouannerie des Cent- Jours en1815; les espérances mortes des communards à Paris en 1871; les maquis rouges oubliés d’Espagne 1942-1952;le crépuscule de l’Algérie française en1962; le baroud désespéré des soldats chrétiens du Liban 2000 jusqu’à la bataille de Kobané en 2014, le Stalingrad kurde contre l’État islamique Daesh.

Mais ce livre, issu du talent de nombreux historiens de renom, n’est pas forcément un hommage à l’héroïsme. Les derniers carrés peuvent être aussi formés de combattants fanatisés. On y apprend ainsi que certains régiments de la Wehrmacht, par fidélité au nazisme et surtout l’espoir d’échapper à la captivité en URSS, ont continué de se battre jusqu’au 11 mai, quatre jours après la capitulation de Reims, contre l’armée soviétique sur les rives de lamer baltique.

Enfin, l’un des récits les plus emblématiques et les plus stupéfiants de ce livre est celui des soldats français enfermés dans les forteresses de la ligne Maginot, qui refusent de se rendre à la Wehrmacht après la débâcle de l’armée française et l’armistice du 22 juin 1940. Trois jours plus tard, assiégés, quelques Français, résistants avant l’heure, continuent de ferrailler. «Les ouvrages, progressivement encerclés, refusent de se rendre, à de très rares exceptions près, et poursuivent la lutte, comme celui de Fermont qui tire encore le25 juin en riposte à une dernière attaque allemande. Un commandant d’ouvrage en fait le constat: à l’heure du cessez-le-feu, nous tenons toujours, nous n’avons pas été vaincus et nous disposons de tous nos moyens de feu. Par conséquent, nous ne sommes pas prisonniers […]. On ne voulait pas sortir des ouvrages les bras en l’air.» Cette belle et incroyable histoire soulève une question évidente :pourquoi un tel épisode qui contraste avec l’image d’Épinal d’une armée démotivée et d’une France soumise et pacifiste en mai-juin 1940 n’est-il pas mieux connu des Français? Effet de la haine de soi?

Le dernier Carré – Combattants de l’honneur et soldats perdus

De l’Antiquité à nos jours.

Jean-Christophe Buisson & Jean Sévillia

Collectif PERRIN, octobre 2021, 416 p

À propos de l’auteur
Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet, haut fonctionnaire et chargé de cours à l’Université de Paris-Est, Maxime Tandonnet est l’auteur de nombreux ouvrages historiques et d’actualité, dont chez Perrin, Histoire des présidents de la République, Les parias de la République, ainsi que d’une biographie remarquée d’André Tardieu . Il vient de publier une biographie de Georges Bidault chez Perrin.
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