Article publié dans Histoire Magazine N°9
Sous-lieutenant puis lieutenant dans l’armée de Sambre-et-Meuse, capitaine affecté à l’armée d’Italie, participant ensuite à la campagne d’Egypte où il finira par être promu général de brigade, Henri Gatien Bertrand qui, à l’instar de son collègue François Haxo, va compter parmi les meilleurs officiers du génie des armées napoléoniennes, n’hésitera jamais à charger sabre au clair quand la situation l’exigera. Nommé inspecteur général des fortifications, puis aide de camp de l’empereur, il s’illustrera entre autres à Austerlitz, Iéna, Eylau, etc., ce qui lui vaudra en mai 1807 ses galons de général de division. Après avoir plus ou moins bien administré les provinces illyriennes, cafouillé à la tête du 4ecorps de la Grande Armée, notamment à Wartenburg (certes à un contre trois), Bertrand sera nommé grand maréchal du palais le18 novembre 1813. Il suivra Napoléon sur l’île d’Elbe, se réinstallera aux Tuileries durant les Cent- Jours et prendra ensuite la route de Sainte-Hélène. Là, au cours des dix premiers mois, il n’a guère le temps d’écrire, littéralement débordé. Puis, au printemps 1816,il s’attelle à tenir un journal. Il s’en lassera en 1820, ne s’y astreignant qu’épisodiquement. Ces textes parcellaires n’avaient à ce jour jamais été publiés. Bertrand reprend sa plume au début de l’année 1821 et noircit à nouveau quotidiennement les pages de son journal. Tel un chartiste passé maître dans l’art du décryptage, l’excellent François Houdecek, un des as de la Dream Team de Thierry Lentz à la Fondation Napoléon, a fait le nécessaire pour nous livrer un témoignage de premier plan des années 1820 et 21 à Longwood. Véritable mine d’or que ces cahiers enrichis d’un appareil de notes éclairantes. On y trouve même des propos franchement odieux de l’ex- empereur à l’égard de Fanny Bertrand, la femme du grand maréchal, qu’il traite de catin, l’accusant de se prostituer avec un de ses médecins, Francesco Antommarchi, ainsi qu’avec tous les officiers anglais qui viennent traîner près de la maison (jusque ‘dans les fossés’!), pure calomnie. En fait, il en veut à la vertueuse madame Bertrand car elle a refusé de coucher avec lui, contrairement à Albine de Montholon qui ne se serait pas fait prier. Pour ce qui relève de la foi, Napoléon semble tout aussi catégorique, du moins le27 mars 1821 : ‘Je suis bien heureux de n’avoir pas de religion. C’est une grande consolation : je n’ai point de craintes chimériques, je ne crains rien de l’avenir’. Or, le 22 avril au soir, il confesse à Bertrand que ‘dans la réalité, il mourrait théiste, croyant à un Dieu rémunérateur et principe de toutes choses, mais qu’il déclare mourir dans la religion catholique, parce qu’il croyait cela convenable’. Mais qu’il croit ou non en Dieu importe peu. Ayant été couronné à Notre-Dame-de-Paris en présence d’un pape, Napoléon se doit d’avoir une fin édifiante aux yeux de la postérité. Il a donc tout prévu, confession, extrême-onction, chapelle ardente, messes de son vivant et post- mortem. Plus on se rapproche du dénouement, plus Napoléon perd la boule, tenant vingt fois les mêmes propos, posant vingt fois les mêmes questions. Deux Diafoirus rodent en permanence autour de lui, prescrivant tout un arsenal de remèdes fantaisistes, quinquina, gentiane, colomel, lavements, emplâtres et vésicatoires. Arrive le mois de mai. Napoléon n’ira pas au-delà du 5. Lui qui rêve de passer pour un martyr, il est servi, torturé sans répit par d’intolérables douleurs au bas-ventre. Dans la nuit du 4 au 5, il prononce ses derniers mots : ‘… à la tête de l’armée…’. À 17 h 49, les jeux sont faits. Dix jours plus tôt, le grand maréchal avait demandé ‘à l’empereur quelle conduite devaient tenir ses amis, quel but ils devaient se proposer’. Réponse de Napoléon : ‘L’intérêt de la France, et la gloire de la patrie, je n’en vois pas d’autres’.
Général Henri GATIEN BERTRAND, «Cahiers de Sainte-Hélène. Les 500derniers jours (1820-1821)
Présentés et commentés par François Houdecek.
Préface de Thierry Lentz.
La Bibliothèque de Sainte- Hélène. Perrin/ Fondation Napoléon. Paris. 2021.25 euros.