En ce 15 août 1914, où tous les regards sont tournés vers la Première Guerre mondiale, où la presse se fait l’écho de la progression des troupes françaises vers Charleroi et Gembloux, qui se souvient que ce jour est celui de l’inauguration officielle du canal de Panama, achevé par les Américains après huit ans d’efforts ? Personne. Loin de l’Europe qui s’embrase, après un chantier de 35 ans, un navire, le vapeur Ancon, passe pour la première fois d’un océan à un autre. Le chantier qui a coûté des dizaines de milliers de morts, emportés par la fièvre jaune, le paludisme ou les morsures de serpents, et englouti des milliards de francs et de dollars, commencé en 1882, arrêté, puis repris, reste associé à un scandale ruinant les épargnants français. Ferdinand de Lesseps y perdra sa renommée acquise avec la construction d’un autre canal, Suez, tandis que Georges Clemenceau verra sa carrière politique mise entre parenthèses pendant dix ans, en raison de ses relations avec les hommes d’affaires peu scrupuleux. Et cependant, ce gigantesque chantier fut une magnifique réussite technique, fruit de la conception d’un ingénieur français, Adolphe Godin de Lépinay qui avait proposé dès 1879 la construction du canal de Panama sur la base d’un canal à écluses et non plus du canal à niveau de Ferdinand de Lesseps. Il faudra l’échec de ce dernier et la reprise de la construction par les Américains en 1904 pour que l’ingénieur Philippe Bunau-Varilla les convainque d’adopter cette technique. Car Adolphe Godin de Lépinay décède en 1898, peu après le scandale de Panama et l’échec de Lesseps, sans avoir pu assister à l’inauguration en 1914. Bernard Meunier retrace la vie de ce brillant polytechnicien, ingénieur des Ponts et chaussées, au parcours emblématique d’une époque, celle du développement des chemins de fer, des infrastructures de l’industrie et de la période encore heureuse de l’expansion européenne. Un bel hommage à tous les ingénieurs qui ont façonné la France au cours de la seconde moitié du XIXe siècle. Sylvie Dutot
L’homme oublié du canal de Panama. De Bernard Meunier. Août 2018.256 pages. CNRS éditions 24€.
A lire dans HISTOIRE MAGAZINE N°2