Telles sont les questions centrales posées par les trois auteurs de cet ouvrage. Pour y répondre, et après avoir présenté la France littorale, « monde à part et environnement sauvage », ils conduisent une enquête fouillée, tableur en main, en privilégiant l’étude des marins du Roi-Soleil et des machines de guerre que sont les vaisseaux.
Certes, la monarchie capétienne a étendu, avant ce règne, les limites de son territoire vers le littoral de l’Atlantique et de la Méditerranée. L’intégration au domaine royal des provinces telles que la Bretagne et la Provence avant le xvie siècle, de la Flandre et du Roussillon au milieu du xviie siècle, a progressivement façonné l’identité maritime de la France. Mais c’est le long règne de Louis XIV (1643-1715) qui représente une époque majeure dans cette mutation du vieux royaume terrien.
Le « siècle de Louis XIV », souvent revisité par des historiens en privilégiant le monde rural et les fastes de la Cour, est pourtant celui de l’essor de la Marine royale et de la naissance du « grand corps » capable de tenir tête aux puissances maritimes de l’Europe du Nord-Ouest. C’est aussi celui, étroitement associé par les hommes qui s’y livrent, de la pêche sur les lointains et périlleux bancs de Terre-Neuve, de la course menée par de prestigieux marins de Saint-Malo, Granville et Dunkerque, de l’expansion commerciale vers les échelles du Levant et les îles françaises d’Amérique, ainsi que des voyages interlopes « à la mer du Sud » (le Pacifique) initiés par les « Messieurs de Saint-Malo » pendant la guerre de Succession d’Espagne. Les ports de Brest, Toulon, Dunkerque et Marseille sont rénovés par des ingénieurs de talent, comme le chevalier de Clerville et Vauban, d’autres ports, tels Lorient, Rochefort et Sète sont créés par décisions politiques au cours des années 1670.
Des ports et des navires, certes, mais ce sont aussi les hommes que traquent les auteurs de cet ouvrage qui fourmille d’éléments permettant de dresser le « portrait statistique des officiers de marine au temps du Roi-Soleil » grâce à la constitution d’une base de données biographiques de tous les officiers, soit environ 5 600 individus. Outre ces cadres, les auteurs procèdent à la revue des équipages, des hommes qui « travaillent et fatiguent beaucoup nuit et jour, au hasard de leur vie » ainsi que le remarque à juste titre l’officier de plume Robert Challe. La levée de ces hommes conduit les auteurs à rappeler la soumission des gens de mer au contraignant système des classes imaginé par l’administration de Colbert, en 1668-1670. Par ce service original, soit une conscription théorique d’un an sur trois sur les vaisseaux du roi, l’état royal cherche à disposer en permanence et non plus de manière intermittente d’une marine d’État, en abandonnant pour cela, ou presque, les rafles d’hommes valides (ou non) selon la méthode dite de « la presse. »
Le fonctionnement d’un vaisseau de guerre, cette « ruche » selon le mot des Malouins mais aussi cette « basse-cour » étant donné l’importance des animaux embarqués, est minutieusement décrit, des vergues à la cale, avant de suivre les « aléas des nombreuses guerres navales » qui ont émaillé ce grand règne. C’est dire le foisonnement de cet ouvrage, fruit de patientes et rigoureuses recherches au long cours, écrit à plusieurs mains, ponctué d’encarts et de tableaux, mais dont la lecture demeure d’une grande fluidité. Qui plus est, cette ample synthèse retient, chemin faisant, des fragments ordinaires de la vie quotidienne des marins du Grand Siècle et de leurs proches.
LES MARINS DU ROI-SOLEIL
Michel Vergé-Franceschi, André Zysberg, Marie-Christine Varachaud, Paris, Perrin, 2023, 368 p., 24 €.