Entretien avec Jean-Joël Brégeon, historien de la Révolution et du Premier Empire. Propos recueillis par Sylvie Dutot.
Après la publication en 2017 de la Nouvelle histoire des guerres de Vendée (Perrin), co-écrit avec Gérard Guicheteau, Jean-Joël Brégeon vient de signer un ouvrage consacré aux grandes figures qui marquèrent les guerres de Vendée. Il évoque, pour Histoire Magazine quelques-uns parmi ces héros qui menèrent les révoltes royalistes de l’Ouest contre les armées républicaines. Entretien…
La Révolution fait naître une nouvelle génération de « héros ». Face aux héros de la République, des héros de la Vendée, qui sans cette guerre seraient restés des anonymes, pour la plupart d’entre eux. Qu’est-ce qu’un héros et qui sont ces héros de la Vendée ?
Jean-Joël Brégeon : Les héros, dans l’Antiquité, sont des demi-dieux, tels Thésée, Achille ou Heraklès. Ceux-là, en 1793, sont des hommes ordinaires. En fait, ils ne sont pas nés héros, ils le deviennent au gré d’une circonstance exceptionnelle : le soulèvement de l’Ouest. Le héros se voue corps et âme à une cause. Il se bat pour elle jusqu’à la mort s’il le faut, au nom de ses principes, des valeurs morales dont il fait choix, l’honneur, la fidélité… Il y a, chez le héros, un penchant sacrificiel. J’ai retenu ici les plus grands chefs vendéens. Je les décline dans l’ordre chronologique de leur disparition. A savoir Cathelineau, Bonchamps, Lescure, Talmont, d’Elbée, La Rochejaquelein, Marigny, Stofflet, Charette. Je leur associe des hommes et des femmes de leur entourage qui ont fait parler d’eux. Je n’oublie pas, en annexe, des contre-figures de la République jacobine, Carrier, Francastel, le général Turreau et d’autres.
« … [Cathelineau] Les autres chefs le choisissent pour ses qualités, son ardeur au combat mais aussi parce qu’il incarne la nature populaire du soulèvement. »
Vous commencez votre galerie de portraits par Cathelineau, que certains appelleront le « Saint de l’Anjou ». Entre la légende dorée des royalistes, et la légende noire des républicains, il n’est pas aisé de démêler le vrai du faux. Il va connaître la trajectoire la plus courte de tous les chefs vendéens …
Jean-Joël Brégeon : Jacques Cathelineau prend les armes le 13 mars 1793. Il est grièvement blessé le 29 juin. Il meurt le 14 juillet. Deux semaines durant, il a commandé en chef la Grande armée catholique et royale.
On sait qu’il est originaire des Mauges, issu d’un milieu modeste. Est-il à ce titre la parfaite illustration de ce petit peuple qui se soulève en 1793 ?
Jean-Joël Brégeon : Voiturier, père de famille, établi dans les Mauges près de Cholet, rien ne le distingue vraiment, sinon qu’il est plus instruit que beaucoup.
Chef de guerre improvisé, il se retrouve à affronter des généraux républicains aguerris (dont certains feront par la suite une brillante carrière au côté de Napoléon), et remporte des victoires avec ses hommes…
Jean-Joël Brégeon : Ses voisins viennent le chercher, il prend leur tête et rallie sa parentèle. C’est un meneur d’hommes, il va de succès en succès et se distingue à la prise de Saumur. Les autres chefs le choisissent pour ses qualités, son ardeur au combat mais aussi parce qu’il incarne la nature populaire du soulèvement. Alors qu’à Paris, on le dénonce comme une affaire montée par les « aristocrates » et les « calotins ».
A l’opposé de Cathelineau, Bonchamps est issu d’une vieille famille noble, est un officier, et dispose d’une fortune, autant d’éléments qu’il va mettre à profit…
Jean-Joël Brégeon : Charles-Melchior Artus de Bonchamps est à l’opposé, socialement parlant, de Cathelineau. Il descend d’une riche et vieille famille de la noblesse d’épée. Il entre dans l’armée, comme cadet, à 16 ans. Il choisit la marine et parcourt les mers. En 1789, il quitte l’uniforme mais ne s’engage pas politiquement. C’est la journée du 10 août 1792 – la prise des Tuileries, la chute de Louis XVI – qui le conduit sur ses terres, au bord de la Loire, en Anjou. Quand les paysans d’alentour le sollicitent pour les commander, il accepte et met sa fortune au service de la cause. Il se montre un bon chef de guerre, avec une troupe disciplinée. Il commande à Cholet, le 17 octobre et tombe blessé grièvement. Il vit son agonie dans la déroute des Vendéens qui cherchent à passer la Loire. Informé du sort que l’on réserve aux 5 000 prisonniers républicains, des exécutions massives, il supplie qu’on leur accorde la vie sauve et l’obtient. « Grâce aux prisonniers ! » est un moment exceptionnel de clémence dans cette guerre civile.
Celui que l’on appelle « Monsieur Henri » a tous les attributs du héros dans cette guerre, son jeune âge en premier lieu…
Jean-Joël Brégeon : Henri de La Rochejaquelein est le benjamin des chefs vendéens. Il n’a pas 21 ans à sa mort. Lui aussi est de noblesse d’épée. Il débute sa carrière militaire, sous-lieutenant en 1789. En 1792, il compte parmi les défenseurs du château des Tuileries et échappe au massacre. Son expérience militaire est infime mais il compense par une bravoure innée, un mépris absolu du danger. Sa première harangue aux insurgés venus le chercher (elle est authentique) le résume : « Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! » Il ne démérite pas dans le feu de l’action mais, aux conseils de guerre, il est plus réservé et se laisse imposer des choix qui ne sont pas forcément les siens. Sorti indemne de la Virée de galerne, il poursuit le combat jusqu’à sa mort dans une escarmouche, le 28 janvier 1794.
« Si j’avance, suivez-moi ; si je recule, tuez-moi ; si je meurs, vengez-moi ! » Henri de Larochejaquelein
Vous évoquez également Charette, le « roi de la Vendée »…
Jean-Joël Brégeon : Il n’est pas de figure plus emblématique du soulèvement de 1793 que celle du chevalier de Charette. Au point de devenir, dans certains récits, une figure légendaire. Il doit cette réputation au fait qu’il est le dernier grand chef à livrer le combat, jusqu’à l’épuisement de ses forces. De petite noblesse, il avait couru les mers et combattu en Amérique, en Méditerranée. A la veille de la Révolution, il était marié et vivait sur ses terres près de Nantes, en « gentleman farmer ». En fait, il n’était pas hostile aux débuts de la Révolution. Il émigra un temps et revint en France, convaincu que tout cela n’était pas son affaire. Lorsque les paysans vinrent le solliciter, il hésita avant de s’engager. D’emblée, il mena une guerre personnelle, de petit chef, alternant échecs et victoires. Il s’entendait mal avec les autres chefs. Il refusa de participer au « grand choc » de Cholet car il ne croyait pas aux chances d’une bataille rangée. Il était adepte de la « petite guerre » et avait le génie des coups de main, des embuscades. Insaisissable, il usait les forces républicaines mises à ses trousses. Charette se défiait des aides venues de l’étranger, l’Angleterre, le prétendant Louis XVIII, son frère le comte d’Artois. Il avait raison et il le paya de sa vie. Son exécution, à Nantes, le 29 mars 1796, se passa devant une foule respectueuse. Elle allait marquer les esprits.