Les passionnés d’histoire seront ravis des descriptions. Celle de la lice (p. 88-90) est d’une grande précision. Les différentes phases du tournoi sont vues avec bonheur. Le lecteur est ravi quand « les lances volèrent en éclats jusqu’au poignet […] le choc avait obligé les deux coursiers à ployer le jarret » (p. 113). Il frissonne quand il voit le chevalier noir : « Armé de sa hache, il assaillit la poterne à coups redoublés, protégé en partie contre les traits et les pierres lancés des remparts par les décombres du premier pont-levis » (p. 383). Tous les lieux du roman médiéval sont présents : le château assiégé, les ténébreux cachots, la salle du jugement d’une sorcière, les banquets nocturnes au plus profond des bois… Quelques débats sur les langues traduisent les tensions entre Saxons et Normands ; des mots anciens, comme thane (ce qui équivaut à vavasseur), donnent une pointe antique au vocabulaire. Mais l’amour de d’Ivanhoé, chevalier normand, et de Rowena, princesse saxonne, dit qu’une nation anglaise peut naître. Les personnages sont inoubliables : Ivanhoé, le preux qui revient chez lui déguisé en pèlerin et combat anonymement ; la mystérieuse Rebecca, juive dont la beauté affole tous les hommes ; Gurth, porcher serf dévoué à la justice et rusé comme un renard ; Réginald Front-de-Bœuf, seigneur brutal qui a usurpé le fief d’Ivanhoé ; Rowena, belle princesse mélancolique ; Brian de Bois-Guilbert, templier machiavélique qui rêve de posséder Rebecca ; Richard Cœur de Lion, roi pieux et généreux ; Locksley, brillant archer dont les flèches transpercent les armures les mieux trempées… C’est le Moyen Âge de nos films hollywoodiens et de nos bandes dessinées. Nous y découvrons ceux que nous connaissons sous les noms de frère Tuck ou Robin des Bois. Cet imaginaire prend quelques libertés avec la réalité historique tout en y puisant sa substance.
Cette réédition reprend la traduction d’Alexandre Dumas. Dans l’introduction de l’édition de 1874 il explique avoir lu le livre en arrivant à Paris en 1821. Il est ravi : « Telle est la puissance du vrai, la fascination du beau, que, comme ces enfants rachitiques à qui les Arabes font manger de la moelle de lion, je me sentis peu à peu transformé, et qu’au bout d’un mois j’avais essayé de faire un mélodrame d’Ivanhoé. » Quelques années plus tard, il en fait notre traduction emplie de fureur et d’amour.
IVANHOE de Walter Scott
Article de la revue Histoire Magazine N14
Pourquoi lire Ivanhoé en 2023 ? D’abord parce que, le plus souvent, nous ne l’avons pas lu, mais découvert à travers le film de 1952 avec Elisabeth Taylor, dans le feuilleton de 1959 avec Roger Moore, ou dans les pages des multiples adaptations écourtées destinées aux enfants. Ensuite parce que, publié en 1819, cet ouvrage est un des premiers romans historiques, initiant en grande partie la redécouverte du Moyen Âge puis sa réinvention. Enfin, parce que c’est une remarquable fresque emplie de couleurs et d’actions.
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À propos de l’auteur
Philippe Martin
PHILIPPE MARTIN est professeur d’histoire à l’université Lyon 2. Il a dirigé le GIS-Religions du CNRS et l’ISERL (Institut supérieur d’études des religions et de la laïcité). Ses recherches l’amènent à étudier les pratiques religieuses des croyants du xvie siècle à aujourd’hui. Il a publié sur l’histoire des pèlerinages, de la mort et de la messe, plaçant au cœur de son travail l’individu et son comportement.