Article publié dans Histoire Magazine N°10
L’un de mes maîtres en Sorbonne, lui-même bas-médiéviste (XIVe- XVe siècle) qualifiait d’oiseaux rares (rarae aves) les haut-médiévistes (Ve- Xe siècle). Sans conteste, Laurent Theis, qui a écrit avec subtilité et pertinence sur Clovis, Dagobert et Hugues Capet, fait partie de cette volière. Avec son Charles le Chauve. L’empire des Francs, il fait le choix d’une personnalité dont on aurait tort de ne retenir que le surnom et ses dates et lieux de naissance et de mort(Francfort, 13 juin 823 — Avreux en Maurienne, 6 octobre877). En des pages savantes et piquantes, l’auteur évoque, à travers quelques dates clés, les problèmes exogènes et endogènes que ce petit-fils de Charlemagne et dernier fils de l’empereur Louis le Pieux, roi de Francie occidentale puis empereur à l’extrême fin de sa vie, eut à affronter. Le contraste est grand entre sa place théorique au sein de l’ordre chrétien, quelque part entre ciel et terre, ce dont témoigne l’iconographie, et la triste réalité de son pouvoir : trop d’espace à parcourir, trop de menaces venues d’ailleurs (les Normands), trop peu de ressources propres, une haute aristocratie laïque avant tout soucieuse d’elle-même. Il apparaît constamment sur la défensive. Heureusement, les évêques — de grands intellectuels pour certains d’entre eux — furent en général de son côté. U moment fort fut sa victoire de Fontenay-en-Puisaye, remportée sur son demi-frère Lothaire, le 23 juin 843, qui est à la source du fameux partage de Verdun (843) : celui-ci, à l’expérience, est censé avoir fondé la France, ce qui est accepté de longue date (au moins depuis Philippe le Bel).Peut-être le plus étonnant dans le panorama, ample et vivant, ainsi offert à la curiosité du lecteur est-il l’implication de ce Carolingien, esprit religieux selon les critères du temps, cultivé, plutôt actif et courageux, dans l’hérésie de Gottschalk qui, mettant l’accent sur la prédestination, pouvait aboutir à déresponsabiliser ses sujets et donc à favoriser l’apathie générale. Or, précisément Charles entendait être le chef temporel de chrétiens libres : à ses yeux, politique et théologie ne pouvaient avoir que partie liée.
CHARLES LE CHAUVE. L’EMPIRE DES FRANCS
de Laurent Theis
Hors série Connaissance
Gallimard, 272 pages + 8 p. illustrées 21 euros