Entretien avec Laurent Albaret : Latecoère
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Entretien avec Laurent Albaret : Latecoère

par | Entretiens, Histoire contemporaine, Première Guerre mondiale, XXème siècle

C’est avec Laurent Albaret que nous inaugurons notre série d’entretiens avec des historiens. Auteur d’un remarquable travail d’édition et d’érudition autour de la correspondance de Pierre-Georges Latécoère, il a bien voulu partager avec nous ses connaissances et sa passion pour l’histoire des lignes aériennes d’autrefois. Nous ne pouvions rêver mieux pour lancer notre rubrique, et rendre hommage au travail de l’historien, que de mettre en avant un ouvrage qui tout à la fois repose sur une « matière » publiée et vient éclairer une aventure industrielle hors du commun.

Pour la première fois se trouve publiée, de manière exhaustive, la correspondance de Pierre-Georges Latécoère. De quoi se compose votre « matière » et quelle période couvre-t-elle ?

 

Laurent Albaret : J’ai eu la chance d’avoir accès aux archives de la famille Latécoère et la confiance de Marie-Vincente Latécoère, belle-fille de Pierre-Georges Latécoère et actuelle présidente de la Fondation Latécoère, qui m’a ouvert le fonds. La « matière » est essentiellement composée des archives de l’entreprise, de la création des Lignes Aériennes Latécoère en 1919, à la construction des hydravions dans les années 1930-1940 par l’industriel toulousain, soit quelque trente années d’activités de l’avionneur. Pour cet ouvrage, je me suis essentiellement appuyé sur la correspondance de Pierre-Georges, de 1918 à 1928, année où il cède définitivement sa compagnie aérienne. Dans un premier temps, j’ai sélectionné quelque 2000 documents – correspondances et télégrammes essentiellement – et j’ai ensuite réduit à un peu plus de 600 documents essentiels, que j’ai considéré comme marquants et intéressants pour raconter l’histoire d’un homme et de son projet industriel visionnaire. Volontairement, j’ai occulté les courriers familiaux et intimes, marginaux pour l’histoire de l’aventure industrielle vécue par Pierre-Georges Latécoère.

F.T.H. : Embrasser une carrière d’industriel semble pour Latécoère une voie toute tracée…

Laurent Albaret  :Il faut savoir que Pierre-Georges est issu d’une famille d’industriels. Il né le 25 août 1883 à Bagnères-de-Bigorre ; son père, Gabriel Latécoère, est le fondateur et directeur des ateliers de menuiserie et de mécanique générale Latécoère. Bon élève, Pierre-Georges a été envoyé à Paris au lycée Louis le Grand. En 1903, il entre à l’École Centrale des Arts et Manufactures. Trois ans plus tard, il en sort ingénieur et assiste sa mère dans la gestion de la société familiale, son père étant décédé en 1905. Après l’obtention d’une licence de droit à l’université de Toulouse et le partage de l’héritage entre sa mère et la fratrie (il a un frère et une sœur), Pierre-Georges Latécoère décide de se consacrer entièrement aux ateliers familiaux.

F.T.H. : Cette vocation industrielle le rattrape pendant la Première Guerre mondiale…

Laurent Albaret : Le temps faste pour la « Maison Georges Latécoère », qui construit du matériel roulant pour les tramways et des wagons, est assombri un temps par la situation internationale et l’entrée en guerre de la France. Tout homme valide est susceptible d’être mobilisé. Pierre-Georges Latécoère, versé dans l’artillerie, est finalement réformé après quatre mois pour cause d’une vue mauvaise. Les autorités militaires sont probablement conscientes que ce jeune entrepreneur sera plus utile pour la France derrière ses machines qu’avec un fusil. C’est donc en tant que « capitaine d’industrie » que Pierre-Georges sert la France, répondant aux commandes militaires de l’État. Comme de nombreuses entreprises françaises, la Maison Latécoère participe à l’effort de guerre, produisant tout d’abord des obus de gros calibre et des cuisines roulantes.

En 1916, alors que l’aéronautique militaire tend à se développer et que les premiers Groupements d’aviation se constituent, Pierre-Georges Latécoère décide de se lancer dans la fabrication d’avions militaires, avec le soutien du ministère de la Guerre. En 1917, l’industriel ouvre une usine – qui comptera jusqu’à 1 500 personnes – et un terrain d’aviation à Montaudran, dans la banlieue de Toulouse. Il se spécialise dans les cellules d’avions, obtenant la commande d’un millier d’avions biplace d’observation Salmson pour l’armée de l’Air française. Fabriqués à la cadence de six par jour à partir de mai 1918, les cent premiers Salmson seront livrés en septembre ; près de 800 appareils seront prêts avant novembre 1918.

Mais quelques mois plus tôt, l’utilisation de l’avion pour le transport du fret commercial a pris forme dans l’esprit de Pierre-Georges Latécoère. Au printemps 1918, il avait fait une proposition dans ce sens – restée sans réponse – aux ministères des Postes et de la Guerre. Relier l’Europe, les colonies d’Afrique et l’Amérique du Sud par la voie des airs devient pourtant un objectif pour l’industriel toulousain. Pour cela, il faut installer des lignes aériennes qui n’existent pas, engager des équipages, organiser une compagnie d’aviation. Sur l’aspect du matériel volant, les avions Samlson 2 A2 peuvent répondre dans l’immédiat à ses projets – du moins pour des liaisons vers l’Afrique dans l’attente des nouveaux appareils plus puissants. Mais il est nécessaire d’avoir des appareils performants, comme le Breguet XIV, avion militaire que l’ingénieur Marcel Moine, un fidèle de Pierre-Georges Latécoère depuis décembre 1917, va transformer en version civile, malgré un moteur Renault dont la fiabilité n’excède pas une vingtaine d’heures en vol continu…

F.T.H. : Pour gérer et développer ses affaires, Latécoère    mène alors une vie  éprouvante entre Toulouse et Paris…

Laurent Albaret : Une vie éprouvante qu’il paiera de sa santé, mais plus tard. Dans l’immédiat, il se partage entre Toulouse, le site de Montaudran, et Paris, où il a installé depuis 1908 des bureaux au 182 boulevard Haussmann, avant de les déplacer au 79 avenue Marceau, dans le 8e arrondissement, dans un imposant immeuble appartenant encore aujourd’hui à la famille Latécoère.

F.T.H. : En mai 1918, Latécoère conçoit donc d’établir une ligne France – Colonies d’Afrique et Amérique du Sud. Un projet fou pour l’époque, à plus d’un titre… Lui-même contribuera « physiquement » au succès de la Ligne.

Laurent Albaret : Pour ses contemporains, ce projet peut paraître un projet fou en 1918, alors que la France sort à peine de la « Grande Guerre ». Mais Pierre-Georges Latécoère est obstiné et doit ouvrir « la Ligne » pour démontrer aux yeux de tous sa vision dans le domaine de l’aérien. Dans sa correspondance, il est conscient des difficultés à convaincre les autorités françaises et espagnoles, du danger commercial de l’Allemagne ; il est régulièrement informé dans ce sens par Beppo de Massimi qu’il a délégué à Madrid pour négocier. Fin 1918, l’industriel tente le tout pour le tout : le 25 décembre, la liaison Toulouse – Barcelone est ouverte par le pilote René Cornemont, sur un Salmson 2 A2, accompagné par Pierre-Georges Latécoère qui a pris la décision : ce que l’on va appeler « la Ligne » est désormais une réalité. Il faut maintenant marquer les esprits pour installer cette liaison aéropostale que l’industriel définit comme résolument « politique et économique […] entre la France et son Empire d’Afrique du Nord ».

F.T.H. : Quelles furent les étapes marquantes dans le développement de cette ligne ?

Laurent Albaret : Après le vol du 25 décembre 1918, le 8 mars 1919, Pierre-Georges Latécoère décide de poursuivre. La première liaison aéropostale entre Toulouse et Casablanca est assurée, avec une communication appropriée pour faire connaître l’événement et la jeune compagnie créée, les Lignes aériennes Latécoère. Une nouvelle fois, Pierre-Georges paie de sa personne, puisqu’il est passager de l’avion. En fin diplomate, l’industriel pousse le vice jusqu’à remettre au gouverneur du Maroc, le général Lyautey, un exemplaire du quotidien Le Temps, daté du 7 mars, puis il offre à la générale… un bouquet de violettes cueillies à Toulouse. Le gouverneur est agréablement impressionné. Le résultat est quasi immédiat : dans les jours qui suivent, une convention pour le transport postal est signée avec l’Administration des Postes chérifiennes, assortie d’une subvention annuelle d’un million de francs. Latécoère a donc réussi à poser un pied en Afrique du Nord, il lui faut maintenant concrétiser et bâtir « la Ligne » : régler les étapes, trouver les trajets, installer des escales – des « aéroplaces » pouvant accueillir les avions, assurer une maintenance – et recruter des pilotes. En 1921, la liaison devient régulière entre Toulouse et Casablanca, avec un maître mot dans le discours de la Direction : « la régularité : partir et arriver à l’heure ». Entre 1923 et 1925, « la Ligne » se prolonge jusqu’à Dakar, au Sénégal, malgré les intrigues politiques, les subventions en retard et les mauvaises volontés françaises et espagnoles. Dans un même temps, Pierre-Georges Latécoère a envoyé une mission en Amérique du Sud avec le pilote Joseph Roig, chargée de préparer le terrain et de trouver une route aérienne jusqu’à Buenos Aires, en Argentine. Dans l’immédiat, le franchissement de l’Océan reste un problème, par manque d’avion capable de franchir les quelque 3000 kilomètres entre Saint-Louis du Sénégal et Natal au Brésil ; on fait donc appel à des navires loués à la Marine nationale, des avisos qui assureront une étape maritime transocéanique.
La correspondance de Pierre-Georges laisse transparaître dans ces années les premières difficultés : les limites de la rentabilité de la Compagnie Générale d’Entreprises Aéronautiques (CGEA) – le nouveau nom des Lignes aériennes Latécoère depuis 1921 –, la faiblesse des surtaxes postales, l’insuffisance des subventions gouvernementales et – surtout – le coût de fonctionnement de « la Ligne ». Les soutiens politiques français sont certes présents, mais la concurrence étrangère, essentiellement allemande, marque des points en Espagne et en Amérique du Sud, avec Zeppelin, Dornier mais aussi Junkers. La solution vient d’un banquier et industriel français, installé au Brésil, Marcel Bouilloux-Lafont. Ce dernier, présenté à Pierre-Georges Latécoère, accepte de reprendre la CGEA et d’investir sur les étapes sud-américaines de « la Ligne ». En 1927, la chose est entendue et le fondateur cède au nouveau président de la CGEA la majorité de ses parts.

F.T.H. : Daurat, Roig, Mermoz, Saint-Exupéry…Autant de noms qui contribuèrent au succès. Transporter le courrier vite et loin fut une véritable épopée… 

Laurent Albaret : Le principal souci de Pierre-Georges est de recruter des pilotes aguerris pour assurer le transport du courrier sur « la Ligne ». A la sortie du premier conflit mondial qui a vu l’aéronautique militaire gagner ses lettres de noblesse, les pilotes combattants sont réduits à l’inaction et vont être le vivier dans lequel l’industriel va choisir les meilleurs – ou du moins ceux qu’il pense être les meilleurs. Très rapidement, il s’adjoint un recruteur de qualité : Didier Daurat. Le parcours de l’homme – pour lequel j’éprouve une certaine sympathie – mérite un éclairage particulier. Ancien élève de l’École supérieure des travaux publics, chasseur au 163e Régiment d’Infanterie en 1914, sergent à Verdun, blessé, sous-lieutenant en 1916, Croix de Guerre avec cinq citations, Didier Daurat rejoint l’aviation et devient pilote en juin 1916. Compagnon d’armes de Beppo de Massimi à l’escadrille C 227, il sort de la Grande Guerre avec le grade de capitaine, la Légion d’Honneur, huit citations et quelques nouvelles blessures. Le 16 juillet 1919, Didier Daurat, en congés de l’Armée, est engagé comme pilote chez Latécoère, se présentant sur conseil de Beppo de Massimi. Meneur d’hommes, persévérant et discipliné, Didier Daurat est tout d’abord chef d’aéroplace à Rabat puis Malaga en septembre 1919. Il devient directeur d’exploitation de « la Ligne » le 1er octobre 1920 et s’impose par sa persévérance, son respect des avions et son sens de la discipline. Didier Daurat assumera la direction de l’exploitation jusqu’à la création de la compagnie Air France en 1933. C’est lui qui recrute des pilotes comme Jean Mermoz, Henri Guillaumet ou Antoine de Saint-Exupéry.
Outre Didier Daurat, se créée une « garde rapprochée » autour de Pierre-Georges Latécoère, composée d’anciens pilotes de guerre, mais également d’amis influents. On y trouve Louis Delrieu, ancien pilote héros de l’armée de l’air qui est un des premiers à rejoindre l’industriel, tout comme Paul Vachet ou Raymond Vanier, vieux « grognards » de la Grande Guerre, Paul-François Dhé, le polytechnicien, militaire d’État-major, familier du monde politique parisien, Beppo de Massimi, l’aristocrate italien et ami de longue date, fin négociateur et introduit dans le milieu des ambassades du monde entier, mais aussi l’ingénieur Marcel Moine – dont j’ai déjà parlé – , le fidèle défricheur Joseph Roig ou encore Charles Murat, prince par son titre – car descendant du prince Joachim Murat, maréchal d’Empire et roi de Naples – mais surtout excentrique, aristocrate et fin diplomate au Maroc ou en Amérique du Sud, capable d’organiser des réunions improbables et de faire signer des accords aux plus réticents.

La majorité des pilotes respecte Pierre-Georges Latécoère, sa rigueur et sa discipline. Dans cette entreprise que souhaite résolument installer l’industriel, il n’y a d’ailleurs pas de place pour des « têtes brûlées » ou des pilotes débutants. Le recrutement du directeur d’exploitation Didier Daurat est sans appel et ses décisions sont rarement contredites par Pierre-Georges Latécoère. Sa correspondance et ses échanges avec les hommes qui construisent « la Ligne » montrent la volonté de l’homme à ne rien laisser au hasard et à ne rien laisser passer. Les rappels à l’ordre et les sanctions pécuniaires sont courants ; les renvois – ultime punition – existent aussi.

F.T.H. : Comment Latécoère vit-il la cession de CGEA?

Laurent Albaret : L’année 1927 est un tournant. Pierre-Georges Latécoère, qui s’est déplacé en Amérique du Sud, a engagé un contrat d’exploitation postal avec l’Argentine, mais la situation reste bloquée au Brésil. L’industriel est conscient que le temps presse, que la vétusté du matériel de « la Ligne » est réelle et que sa recherche d’argent pour investir dans de nouveaux avions devient obsédante, en témoignent ses multiples notes personnelles sur le sujet. En France, la feuille de route du gouvernement ne semble pas répondre à ses multiples demandes de subventions. L’industriel décide alors de se recentrer sur la SIDAL – une société qu’il a installée pour la construction et la maintenance des avions de « la Ligne » – ; son métier d’ingénieur prend le dessus… et la décision de céder la CGEA est prise.
L’affaire est faite en quelques jours : le 11 avril, Marcel Bouilloux-Lafont devient majoritaire dans la CGEA, mais Pierre-Georges Latécoère reste administrateur-délégué. Sur le papier, la continuité du projet reste un souci commun à tous, pilotes et administrateurs. Marcel Bouilloux-Lafont apporte son réseau sud-américain et des capitaux. Deux exemples le montrent clairement : en juillet, les premiers appareils Laté 17 et Laté 25 rejoignent par bateau les terres sud-américaines ; les pilotes et les mécaniciens suivront, alors que la SUDAM – la Société de Marcel Bouilloux-Lafont – provoque dans un même temps la création de l’Aeroposta Argentina, composée de pilotes tous argentins et présidée par… Marcel Bouilloux-Lafont. Dans ce déploiement et cette modernisation de « la Ligne », Pierre-Georges Latécoère sait qu’il n’est plus décisionnaire. L’Assemblée générale extraordinaire d’octobre 1927 confirme l’actionnaire principal, la SUDAM. Le banquier organise désormais l’exploitation du réseau aéropostal, s’appuyant sur les équipes en place qui sont intégrées dans la nouvelle société qu’il préside, la Compagnie Générale Aéropostale. En novembre, les ouvertures de ligne ont lieu sur Rio de Janeiro – Natal et Rio de Janeiro – Buenos-Aires. En décembre, la CGA est finalement autorisée à fonctionner au Brésil. En cette fin d’année 1927, le service aérien en Amérique du Sud est en voie d’aboutissement, l’éclairage des pistes est même généralisé pour les vols nocturnes – dont l’organisation a été confiée à Jean Mermoz, chef pilote pour l’Amérique du Sud.
Pierre-Georges Latécoère vit mal cette évolution et l’année 1928 ne fait qu’accentuer sa mise à l’écart de la CGA. Son rêve abîmé, il se concentre sur la fabrication de ses nouveaux modèles. Le constructeur est dans un défi de qualité, mais les événements ne sont pas en sa faveur. Le Laté 21, trop instable sur les liaisons méditerranéennes et victime d’accidents, est interdit de vol par le Service de la navigation aérienne. Le Laté 23 subit quant à lui un accident fatal pour sa fabrication et son développement. La concurrence allemande est présente, tout comme celle des Français Blériot et Farman, pour la réalisation d’un hydravion suffisamment puissant pour traverser l’océan, bien que la SIDAL soit considérée comme pionnière, avec le projet d’un « Laté 33 », un hydravion transatlantique porté par un Syndicat et la SIDAL. Les réticences de Marcel Bouilloux-Lafont, les carences gouvernementales et un carnet de commandes qui ne se remplit pas désespèrent l’industriel qui réitère ses propositions dans plusieurs courriers auprès du président de la CGA.
Le 9 décembre 1928, Pierre-Georges Latécoère démissionne de ses fonctions d’administrateur-délégué et de vice-président de la Compagnie Générale Aéropostale, usé par les relations avec André, le fils de Marcel Bouilloux-Lafont, dans l’impasse sur ses contrats et probablement dépassé par la manière dont la Compagnie Générale Aéropostale est désormais gérée, notamment les extensions aériennes intérieures sud-américaines qu’il considère comme inutiles pour « la Ligne ».

F.T.H. : Sur quelles activités se recentre-t-il ?

Laurent Albaret : Pour l’industriel toulousain, le temps de l’aéropostale est révolu, vient le temps des hydravions, l’ingénieur qu’il est s’engageant dans la fabrication des appareils transatlantiques et des célèbres « géants des mers ». La construction d’hydravions de gros tonnage devient son objectif ; il rachète à la Société Lorraine-Dietrich les terrains et les bâtiments de son ancienne usine qui a été désaffectée. Conscient de la nécessité d’ouvrir ses marchés, Pierre-Georges Latécoère se lance dans la construction d’appareils destinés à l’aviation civile, mais également militaire. Outre les Latécoère 300 et 301 pour la CGA – appareils décriés par les accidents répétés qu’ils provoquent –, il construit des hydravions militaires, comme le bombardier-torpilleur Laté 298 commandé en série sous différentes versions. Dès 1931, il a installé ses ateliers à Biscarosse, profitant de l’étang pour multiplier ses vols d’essai. En 1937, il fait construire une usine pour la fabrication d’hydravions à Anglet ; elle produira les Laté 521 ou encore l’hexamoteur 522. Ses ingénieurs s’engagent aussi dans la réalisation du Laté 631, celui que l’on surnommera « le géants des airs ».
Une période faste, malgré l’ombre d’une guerre en Europe qui grandit, mais également la fin d’une carrière. Pierre-Georges Latécoère est fatigué, souvent malade. En 1939, il cède à Louis Breguet ses usines de Montaudran et d’Anglet, ainsi que la base de Biscarosse.
Avec l’entrée en guerre de la France, les hydravions Latécoère sont réquisitionnés par l’armée de l’Air qui souhaite en faire des appareils de reconnaissance. On fait encore appel à Pierre-Georges pour construire des hydravions Laté 611, dont un seul sera réalisé en juillet 1939. Il finalise en revanche le prototype du Laté 631, qui pourra être utile pour la reconnaissance aéromaritime. La déroute et la défaite de juin 1940 brisent les espoirs de l’avionneur, de nouveau souffrant. La maladie prend le dessus. La 10 août 1943, Pierre-Georges s’éteint à Paris ; il allait avoir 60 ans.

F.T.H. : Quel héritage laisse-t-il ?

Laurent Albaret : Pierre-Georges Latécoère laisse une grande compagnie aérienne. En 1928, la Compagnie Générale Aéropostale est en effet la première compagnie au monde, possède le plus grand réseau aérien avec 15000 kilomètres de liaisons passagers et fret, dispose de 141 appareils, compte 38 aéroplaces en activité, une flotte en Méditerranée et dans l’Atlantique d’une dizaine d’unités, et une infrastructure administrative conséquente.
Il reste surtout une des figures les plus marquantes, peut-être la plus marquante, de l’aventure commerciale aéronautique française de l’entre-deux-guerres. L’histoire commune a surtout retenu Pierre-Georges Latécoère comme un capitaine d’industrie, un chef d’entreprise créateur d’une ligne aérienne en 1918, rachetée et développée en 1928 par un autre chef d’entreprise, Marcel Bouilloux-Lafont, qui en fera la célèbre Compagnie Générale Aéropostale connue par les figures de Jean Mermoz et d’Henri Guillaumet. Il faut aussi retenir que le nom « Latécoère » marque aussi l’histoire des technologies et de la modernisation avec les avions, en majorité des hydravions, qui porteront ce nom du début des années 20 jusqu’à l’après Seconde Guerre mondiale. À Beppo de Massimi, son ami lieutenant d’observation dans l’armée de l’Air, il prononcera cette phrase devenue célèbre, dans un échange daté du 15 mai 1918 au sujet de son projet aérien transocéanique : « j’ai refait tous les calculs, ils confirment l’opinion des spécialistes : il est irréalisable. Il ne nous reste plus qu’une seule chose à faire : le réaliser ». Une histoire publique parfois nourrie par la légende, mais surtout l’histoire d’un homme visionnaire sur le monde de son temps.

Pierre-Georges LATÉCOÈRE Correspondances (1918-1928) Edition et commentaires par Laurent ALBARET Editions PRIVAT 720 pages 24 €

 

 

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