<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> Les protestants ont-ils inventé le capitalisme?

27 janvier 2022 | N°10 Histoire Magazine

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Les protestants ont-ils inventé le capitalisme?

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Article publié dans Histoire Magazine N°10

On connaît la thèse de Max Weber. Ou du moins la manière dont son livre, L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1904-1905), a été reçu. Car entre ce qu’écrit le père de la sociologie historique et ce qu’on lui fait dire, la marge est parfois grande. Il est hors de question, écrivait-il, «de soutenir une thèse aussi déraisonnable et doctrinaire, qui prétendrait que l’esprit du capitalisme ne saurait être que le résultat de certaines influences de la Réforme ». Avant de souligner son objectif : «préciser la part qui revient aux facteurs religieux » parmi les multiples causes «du développement de notre civilisation moderne ». Cette part résiderait dans un double phénomène. En premier lieu, avec Luther, la profession se fait vocation (beruf) et revêt la valeur d’un devoir à accomplir, en réponse à l’appel divin. Seconde idée : avec Calvin et la doctrine de la prédestination, la réussite matérielle devient le signe de l’élection divine. La richesse n’est plus considérée comme un péché. Et comme l’on se doit de vivre sans ostentation, l’argent épargné peut être réinvesti. Cette tendance au travail ascétique se retrouve aussi dans le catholicisme. Ce qui change, avec la Réforme, c’est qu’elle n’est plus réservée à quelques-uns, sages ou moines. Elle se généralise. En «s’échappant de sa cage», en irriguant la société, l’ascétisme religieux sert alors de déclencheur. Car, l’écrit Weber, vainqueur, le capitalisme n’a ensuite plus besoin, pour se soutenir, de cet esprit ascétique mondain initialement dérivé de la Réforme. C’est là que commencent les problèmes. Si l’on suit Weber, l’apport de la Réforme à «l’esprit du capitalisme » est surtout valable au début, aux XVIe et XVIIe   siècles, avec les succès des Anglais et des Néerlandais des Provinces-Unies. Or, les exemples sur lesquels il se fonde renvoient quasiment tous au XVIIIe siècle, à une époque où, lancé, le capitalisme n’aurait, selon lui, plus autant besoin d’être soutenu par l’éthique religieuse. Ajoutons que Luther envisage de «supprimer le grand négoce et l’activité même des commerçants ». Il faut user du commerce en chrétien, dit-il dans Du commerce et de l’usure (1524), et « fixer comme règle de ne rechercher dans ces affaires commerciales que [sa] subsistance ». Évacuant ces écueils, Weber regarde surtout vers le calvinisme et ses excroissances : le puritanisme anglais et le quakerisme américain.

Les quatre pères de la Réforme ( Guillaume Farel, Jean Calvin, Théodore de Bèze, John Knox). Monument international de la Réformation, Parc des Bastions, Genève. Suisse.

Tout est là  : ce n’est pas «le » protestantisme qui serait à l’une des origines de « l’esprit du capitalisme » mais la manière dont des calvinistes, et, surtout, des puritains anglais et quakers américains auraient pu l’interpréter. Ami de We- ber, Ernst Troeltsch, dans Protestantisme et modernité, le souligne : ce n’est qu’indirectement, et en trahissant l’esprit de la Réforme (qui implique de travailler en l’honneur de Dieu), que des éléments du protestantisme ont pu être mis au service du capitalisme. Ajoutons que l’importance accordée au travail, à sa rationalité, à l’équilibre des comptes, et à d’autres vertus présentes chez un Benjamin Franklin, au XVIIIe siècle, se retrouve, écrivait Werner Sombart (1913), chez des marchands et banquiers catholiques italiens de la Renaissance. Dans sa thèse consacrée au négoce malouin du XVIIe siècle, au moment où cette cité figure à l’avant-garde du capitalisme maritime français, André Lespagnol mettait en évidence le rôle du catholicisme post-tridentin comme soutien de l’activité entrepreneuriale. Les protestants n’ont donc pas inventé le capitalisme, dont les origines bien discutées sont bien antérieures à la Réforme. En revanche, elle leur a sans doute permis de nouer des rapports plus décomplexés avec l’argent. Livre majeur, l’Éthique protestante demeure aujourd’hui encore objet de passionnants débats.

L’ÉTHIQUE PROTESTANTE ET L’ESPRIT DU CAPITALISME par Max Weber.

Traduit et présenté par Jean-Pierre Grossein.

Editions Gallimard. Collection Tel. 2004. 602 pages. Poche. 14.90 €

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Olivier Grenouilleau

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