<i class='fa fa-lock' aria-hidden='true'></i> La mayonnaise – Maillon fort de la cuisine

27 janvier 2022 | N°10 Histoire Magazine

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La mayonnaise – Maillon fort de la cuisine

par | N°10 Histoire Magazine

L ’histoire de cette émulsion froide et stable, à base de jaunes d’œufs, est aussi trouble qu’elle est calorique ! Des cuisines du XVIIIe siècle à celles des fastfoods contemporains, retour sur la plus populaire des sauces.

Article publié dans Histoire Magazine N°10

Un secret d’apothicaire

Pour soigner les brûlures et les blessures, le philosophe et médecin persan Avicenne (980- 1037) met au point une sorte de pommade, renfermant du jaune d’œuf et de l’huile rosat — c’est à-dire une macération de roses rouges —, la seconde ajoutée goutte à goutte pour déclencher une émulsion. Au Moyen-Age, cette formule est reprise par les apothicaires, parmi leurs nombreuses préparations d’emplâtres et d’onguents.

De là à dire que les cuisiniers ont puisé leur inspiration chez les apothicaires, il n’y a qu’un pas! Vite franchi et d’autant plus crédible que le métier d’apothicaire s’est longtemps confondu avec celui d’épicier : épices et remèdes étaient en effet, jusqu’en 1777, date d’une ordonnance royale, souvent vendus dans la même boutique.

Le XVIIIe siècle est précisément l’époque où apparaissent, côté cuisine, de nombreuses sauces, dont l’une d’entre elles pourrait bien être l’ancêtre de la mayonnaise : la rémoulade, une vinaigrette dans laquelle sont incorporés des câpres et des anchois pilés, est retravaillée, probablement vers 1735, par des cuisiniers qui y ajoutent un roux, mélange de beurre et de farine, allongée de bouillon, appelé « velouté ». Le premier à avoir pensé à la métamorphoser en sauce liée par le simple ajout d’un velouté froid est Vincent La Chapelle, cuisinier français du Prince d’Orange aux Pays-Bas. Elle est alors destinée à accompagner volailles et grillades. Car les goûts alimentaires évoluent, et les palais se détournent du sucre et des épices régnant jusqu’alors dans quasiment toutes les préparations. L’époque est particulièrement friande des veloutés, et des sauces onctueuses en général. Puis, à l’orée du XIXe siècle, une innovation, consistant à remplacer le velouté par une émulsion à base de jaune d’œuf, consacre la «naissance » de la mayonnaise. On retrouve, en 1803, à la carte du restaurant Véry, situé aux Tuileries avant son nouvel emplacement au Palais-Royal, la trace d’une «Mayonnaise de Poulet », c’est-à-dire une salade de volaille enrobée de sauce.

Déjeuner au Palais-Royal, 1822. Par George Cruikshank (1792-1878). British Library.

Une sauce d’abord élitiste

Premier à l’évoquer dans son fameux ouvrage «Le Cuisinier Impérial », paru en 1806, André Viard n’en précise malheureusement pas la recette. Celle-ci n’apparaît que huit ans plus tard, de manière détaillée, dans un autre livre, «L’Art du cuisinier », signé d’Antoine Beauvilliers, propriétaire de la célèbre «Taverne de Londres », rue de Richelieu. Pour faire prendre la sauce, on utilise à l’époque indifféremment jaune d’œuf ou gelée. Dans la version du gentilhomme restaurateur, c’est cette dernière qui est privilégiée : «Mettez dans un vase de terre trois ou quatre cuillerées à bouche d’huile fine, et deux de vinaigre d’estragon; joignez-y estragon, échalotes, pimprenelles, hachés très-fin, sel, gros poivre, en suffisante quantité, deux ou trois cuillerées à bouche de gelée ou d’aspic ; remuez bien le tout avec une cuiller : la sauce se liera et formera une espèce de pommade. Goûtez-la : si elle était trop salée ou trop vinaigrée, mêlez-y un peu d’huile ; en cas que vous la vouliez claire, concassez la gelée avec votre couteau, et mêlez-la légèrement avec votre assaisonnement. »

Mais la mayonnaise coûte cher, et devient synonyme de plats à la présentation recherchée, destinés à une élite.

Saumon, filets de sole, thon, turbot, truite, brochet, homard, poulet, lapereau, faisan, perdreau, veau, fond d’artichaut, salsifis… on ne compte plus les ingrédients que les cuisiniers marient à la mayonnaise, lors de dressages particulièrement sophistiqués, en ce début du XIXe siècle !

La piste espagnole

La prise de Minorque en 1756. La création de la mayonnaise prendrait ses origines au cours d’un banquet donné pour célébrer la prise de la ville par le duc de Richelieu.

Si son ancrage auprès des cuisiniers et gourmets parisiens semble avéré, un autre pays revendique son invention, antérieure selon lui à la transformation de la rémoulade en sauce veloutée : l’Espagne. Deux théories s’affrontent, à propos de ce berceau supposé. L’une évoque un banquet donné par le duc de Richelieu, neveu de l’illustre cardinal et grand gastronome, afin de célébrer la conquête de la ville, alors sous occupation anglaise, le 28 juin 1756. Le cuisinier du duc serait alors inspiré d’une recette locale, élaborée avec du jaune d’œuf, de l’huile d’olive et du jus de citron, auxquels on ajoutait fines herbes, ail, poivre et sel. Une recette qui rappelle fortement notre aïoli contemporain. Cette histoire comporte aussi une autre version : ce même cuisinier aurait voulu élaborer une sauce composée de jaune d’œuf et de crème, dont son maître était friand. N’ayant pas de crème sous la main, il remplace la crème par de l’huile d’olive. Vrai ou pas, le succès est immédiat, et on décide de baptiser cette sauce : la «mahonnaise ». La seconde théorie, elle, est nettement plus favorable aux Espagnols, preuves écrites à l’appui : le livre «Art de la Cuina », œuvre d’un moine franciscain minorquin du XVIIIe siècle, comporte plus de 25 recettes à base de mayonnaise, appelée… « aïoli Bo» ! L’ouvrage ayant été publié en 1750, l’antériorité de la recette donne donc un net avantage aux Minorquins.

Marie-Antoine Carême, dit Antonin Carême (1784- 1833). Le célèbre patissier français, surnommé «le roi des chefs et le chef des rois».

Des grands chefs à la «malbouffe» ?

À la fin du XIXe siècle, le célèbre chef Prosper Montagné, ignorant volontairement ou non la piste espagnole, donne sa propre version de l’origine du nom «mayonnaise » : il proviendrait du «moyeu», terme en usage à l’époque médiévale pour désigner… un jaune d’œuf! L’évolution de la prononciation en «mayonnaise » aurait fait tomber en désuétude le moyeu…

Quelques décennies plus tôt, le non moins célèbre Antonin Carême, affirmait quant à lui que la fameuse sauce tirait son nom du verbe «manier » ou «magner », qui signifie pétrir pour mêler intimement farine et beurre. Raison pour laquelle il la nommait : «magnonnaise ».

Sans prétendre se pencher sur son étymologie, Auguste Escoffier, grand cuisinier et inventeur de la cuisine des palaces, la considère à juste titre — comme la mère de toutes les sauces froides: de la sauce tartare (ciboulette, persil, cerfeuil, estragon, câpres, cornichons et piment), à la sauce gribiche (œufs durs, câpres et herbes fraîches), en passant par la sauce cocktail (cognac, ketchup, Tabasco), ou la sauce verte (persil frisé haché). De quoi donner raison à Anthelme Brillat-Savarin, soutenant qu’«on peut tout faire avec des mayonnaises, sauf s’asseoir dessus » !

L’éminent gastronome, mort en 1826, n’aurait sans doute pas imaginé de quelle façon les industriels allaient dénaturer la fameuse sauce : conditionnée et vendue en tube pour la première fois en 1957, celle-ci n’en finit plus de subir l’opprobre des défenseurs des produits sains et non transformés. Après des siècles de présence sur les tables raffinées, son image s’est délitée entre une feuille de laitue douteuse, un steak haché suintant le gras et deux tranches de pains à burger insipide, en vitrine des fast-foods. De quoi donner envie de faire monter de nouveau la sauce dans les plus nobles recettes de la cuisine française !

Le goût de Paris et de la région Ile-de-France de Nathalie Helal

Editions Hachette cuisine, co-signé avec Sandrine Audegond.

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À propos de l’auteur
Nathalie Helal

Nathalie Helal

Nathalie Helal est journaliste et spécialiste de l’histoire de la gastronomie et de l’alimentation. Son dernier titre paru est Le goût de Paris et de la région Ile-de-France, aux éditions Hachette cuisine, co-signé avec Sandrine Audegond.
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