Cinq questions à Karin Hann
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Cinq questions à Karin Hann

par | Entretiens, Temps modernes, XVIIème siècle

Après Althéa ou la Colère d’un roi, sorti en 2010 et récompensé au Salon du Livre d’Ile-de-France l’année suivante, les lecteurs attendaient une suite. Leur vœu est exaucé. Avec Les Venins de la cour, Karin Hann nous plonge cette fois au cœur de « l’Affaire des Poisons », dans les fastes et les turpitudes de la cour du Roi-Soleil, à Versailles. Avec talent, la romancière séduit son lecteur par la légèreté de sa plume, l’intrigue, où se mêlent grands du royaume et personnages de fiction, et rigueur historique. Passionnée d’histoire, Karin Hann sait puiser aux meilleures sources (Jean-Christian Petitfils…) pour développer un récit documenté tandis que la femme de lettres nous transporte au cœur d’une incroyable affaire criminelle qui menaça jusqu’au roi lui-même. Un roman « coup de cœur » que les férus d’histoire apprécieront à coup sûr durant la période estivale, histoire d’approcher le Grand Siècle par la fantaisie et l’imagination de l’auteur. Et par chance, Karin Hann nous en dit quelques mots…

 

F.T.H. : Karin Hann, vos romans font la part belle à la grande histoire…

Karin Hann : Oui, et ce n’est pas un hasard. J’ai fait un doctorat de Lettres. On ne fait pas de Lettres sans faire d’Histoire (alors que l’inverse est possible). J’ai toujours été fascinée par ces gens, qui sont si loin de nous et me semblent pourtant si proches. A mon doctorat, j’ai ajouté une licence de psychologie et une licence d’histoire de l’art : mes romans réunissent exactement ces trois passions. Ils montrent des personnages qui s’inscrivent dans un siècle, qui côtoient des artistes, des scientifiques et des écrivains, qui participent à la grande Histoire en vivant la leur, car si grands soient-ils, ils sont avant tout des êtres humains… avec tout ce que cela implique. De mes études, j’ai gardé le goût des recherches, des vérifications. Mes romans reposent sur des bibliographies fournies, j’apporte un soin particulier à la véracité historique, qui est pour moi essentielle. Je m’appuie sur les travaux des historiens. Les seuls sentiers de traverse que je m’autorise sont ceux des énigmes de l’histoire, comme par exemple le masque de fer. Là, et là seule, est la liberté du romancier : on peut se laisser aller à préférer une interprétation plutôt qu’une autre. J’ai compris que les personnages qui me sensibilisent sont des esthètes, comme Catherine de Médicis (Les Lys pourpres) et Nicolas Fouquet (Althéa ou la colère d’un roi). Ces gens ont été en avance sur leurs siècles, intelligents, découvreurs de talents, avec une vision politique et esthétique. Ils furent des mécènes. Mais la postérité a été injuste, Catherine de Médicis a souffert des romans du très talentueux Dumas qui en a fait une veuve noire et de Michelet qui a réécrit l’Histoire au XIXème siècle (une Histoire qui est encore enseignée aujourd’hui, et qui est bien loin de ce qui s’est réellement passé !). Ces personnalités sont riches et attachantes. J’ai aimé les suivre et les faire revivre. Lorsque mes lecteurs m’écrivent qu’ils ont découvert un autre visage de Catherine de Médicis ou de Fouquet, je suis très heureuse !

F.T.H. : Votre dernier roman, Les Venins de la cour, s’inscrit sur fond d’affaire des poisons… On tremble jusque dans l’entourage du roi…

Karin Hann : Oui, cette affaire est l’une des plus importantes de l’Histoire. Elle a secoué le règne de Louis XIV et ébranlé le trône en ce sens que l’on a craint pour la personne même du roi. Lorsqu’éclate l’affaire Brinvilliers, une marquise qui s’est débarrassée de son père et de ses deux frères pour toucher son héritage, on comprend que les poisons ne sont plus violents et immédiats mais que l’on peut empoisonner à petit feu, pendant des mois. C’est la panique ! Car non contente d’être une empoisonneuse, cette femme est marquise ! Comment protéger le roi d’une chemise qui serait « accommodée » d’un placet empoisonné, d’une chandelle qui dégagerait des substances nocives en se consumant ? Tout devient possible ! La toxicologie n’en est qu’à ses débuts, on ne repère pas forcément les traces d’un empoisonnement à l’autopsie, on ne connait pas les antidotes. Que faire lorsqu’on apprend que Madame de Montespan, qui est la favorite depuis tant d’années, qui a mis au monde de nombreux enfants que Louis XIV a légitimé « de France », a fait consommer au souverain des poudres destinées à lui ramener les faveurs du roi, ou s’est adonnée à des messes noires pour retrouver l’ardeur de son amant ? L’affaire devient une affaire d’Etat !

F.T.H. : Gabriel Nicolas de La Reynie est un personnage clé, à la fois acteur et témoin privilégié de ces sinistres affaires…

Karin Hann : Oui. Et c’est très intéressant, car c’est devant ce péril que la police va véritablement se structurer. Gabriel Nicolas de La Reynie, fraîchement nommé, ne savait pas ce qui l’attendait. Il confie dans sa correspondance à Louvois, son ministre de tutelle, qu’il lui arrive d’en perdre le sommeil, tellement l’horreur des témoignages l’épouvante ! Il ne s’agit plus seulement d’avorteuses ou d’empoisonneuses, il s’agit de femmes qui mettent au monde des enfants pour les immoler sur l’autel de Satan lors de messes célébrées par des prêtres apostats. Ces messes ont vocation à réaliser les souhaits les plus farfelus. C’est le règne de l’obscurantisme et de la bêtise et c’est aussi cela qui est troublant, que des gens tout de même instruits, puisque la noblesse de France avait accès à l’instruction, se soient adonnés à de telles folies ! On voit où le désœuvrement peut conduire. Quant à l’affaire des Poisons en elle-même, elle traduit la volonté de beaucoup de femmes de sortir des mariages dans lesquels elles ont été précipitées de force. Ce qui bien sûr n’excuse pas la gravité de ces empoisonnements. C’est, à Paris, le règne des sorcières, devineresses et avorteuses. Et c’est ce que découvre La Reynie, après l’affaire Brinvilliers. Il ne savait pas, le pauvre, qu’il ouvrait la boîte de Pandore en commençant les interrogatoires. Les sorcières vont se dénoncer entre elles, révélant l’ampleur stupéfiante de cette affaire.

F.T.H. : Votre héroïne, Eloïse de Mergenteuil, se trouve prise dans la tourmente… 

Karin Hann : Eloïse de Mergenteuil est la fille d’Althéa, laquelle a déjà eu maille à partir avec Louis XIV et les dérives de la monarchie absolue, puisqu’elle est la fille adoptive de Nicolas Fouquet, injustement condamné après un procès inique. Eloïse, elle, fait un beau mariage, mais se trouve emportée dans la tourmente de cette immense affaire criminelle, comme cela peut arriver à chacun d’entre nous. C’est aussi ce que montre ce roman : un destin peut basculer du jour au lendemain, personne n’est à l’abri de ce genre de chose, la grande Histoire parfois balaie la petite, et des vies peuvent être sacrifiées. Il est un fait certain que lorsque cette affaire éclate, tout le monde devient très suspicieux. La police, on l’a dit, s’est organisée. Paris est éclairé, on traque les criminels sans relâche, on surveille les places des marchés et les sorties d’églises, on embarque les tire-laines et les filles de joie, on arrête les détrousseurs et les brigands. L’atmosphère s’assainit. Mais les services de La Reynie, et notamment le lieutenant Desgrez, enquêtent sans relâche et toute mort prématurée, ou supposée telle, devient suspecte…

F.T.H. : Louis XIV chercha jusqu’à la fin à préserver les secrets de l’Etat…

Karin Hann : C’est vrai. Louis XIV avait bien conscience du fait que le peuple serait indigné de savoir que Mme de Montespan était compromise, car la valse de ses maîtresses commençait un peu à fatiguer l’opinion. Ces femmes paradaient en humiliant la reine, rivalisant de dépenses somptueuses. Alors qu’elles puissent, en plus, commettre des actes criminels ou offenser Dieu, c’en était trop ! De plus, comme les bâtards du roi et de la Montespan étaient légitimés, l’opprobre jetée sur leur mère les aurait entachés. Louis ne pouvait l’admettre : ils étaient ses enfants, pour lesquels il avait de surcroît plus d’affection que pour le dauphin. Aussi a t-il ordonné que soient soustraites des minutes du procès et des enregistrements des interrogatoires tout ce qui pouvait de près ou de loin impliquer Mme de Montespan ou Mlle des Oeillets (une autre de ses conquêtes). Dès lors, l’affaire des Poisons devient un secret d’Etat, au même titre que la négresse de Moret, que l’on croise aussi dans ce livre. Lorsqu’il sentit la mort approcher, le Roi détruisit tous ces papiers compromettants, afin que la prospérité ignorât ces infamies, c’était sans compter le zèle de La Reynie qui avait pris soin de tout consigner dans ses propres dossiers ! C’est grâce à lui que nous savons tout de l’affaire des poisons aujourd’hui ! C’est un joli clin d’oeil de l’Histoire…Il eut été vraiment dommage que l’on n’ait pas accès à tous ces documents qui sont une vraie mine d’or, et un témoignage extraordinaire sur le fonctionnement judiciaire du Grand Siècle !

Les Venins de la cour, de Karin Hann, Editions du Rocher, 2013, 240 pages 20 €.

 

 

 

 

 

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